A compter du 14 février
2004 ce texte est disponible sur le site : www.seinemedia.com/manifeste
Vous pouvez renvoyer ce manifeste avec votre signature à
l'adresse électronique suivante : pajmarie@wanadoo.fr
MANIFESTE POUR LA
PSYCHANALYSE
Nombre de mesures que prend l'actuel
gouvernement vont dans le sens d'une restriction des libertés
et des responsabilités individuelles. Le projet de loi
visant à réglementer l'usage du titre de psychothérapeute
en impliquant les associations de psychanalyse par le biais de
leurs annuaires s'inscrit dans ce processus.
En accord avec notre pratique et en cohérence avec la
raison psychanalytique, nous appelons à s'opposer à
ce projet de loi.
*
En tout premier lieu, il faut situer le contexte de ce souci
de réglementation. Il s'agit de l'une des dispositions
d'une loi de santé publique, dont la philosophie est précisément
explicitée dans un rapport sur la psychiatrie demandé
par le ministre dans la même période et qui confirme
l'orientation des politiques de ces deux dernières décennies.
La médicalisation de la psychiatrie va de pair avec son
dépérissement, tandis que l'inflation de la demande
de psychothérapie est encouragée et organisée.
Les réponses proposées dans le champ de la santé
sont préférentiellement orientées vers des
solutions techniques standardisées qui se juxtaposent
: à la prescription massive de psychotropes, on ajoute
désormais la prescription de parole (deuils, traumatismes,
viols, harcèlement, etc.). Il s'agit aujourd'hui d'enserrer
cette proposition sociale de " psychothérapie "
dans les règles bureaucratiques qui déferlent dans
le champ médical.
En effet, l'évaluation, les " recommandations de
bonnes pratiques " font partie de l'appareil qui a rapidement
fait passer l'hôpital à un statut d'entreprise,
sous le règne du discours administratif. La médecine
libérale connaît le même sort, et le marché
énorme des " psychothérapies " doit y
être rapidement inclus. Cette évolution majeure
ne touche pas seulement la médecine ; bien d'autres pratiques
connaissent le même encadrement soupçonneux. Le
sort qui sera fait à la psychanalyse aura des conséquences
bien au-delà d'elle-même : chercheurs, créateurs,
artistes sont confrontés au même enjeu.
*
Or, en tant que science du sujet et de la subjectivité,
la psychanalyse ne saurait, sans se renier, se prêter à
une quelconque gestion administrative. Qu'un psychanalyste ne
soit pas ignorant des savoirs hétérogènes
(clinique psychiatrique, psychopathologie, sciences sociales,
juridiques, politiques, littérature, etc.) qui peuvent
et doivent éclairer son action est une chose. Mais, quels
que soient les diplômes et les compétences qu'il
possède, un psychanalyste est confronté à
une pratique qui ne se réduit pas à l'application
de connaissances. Chaque psychanalyse est une expérience
singulière qui déroute tout programme et toute
garantie a priori. Elle se fonde sur un rapport au symptôme
qui vise à en extraire la vérité et non
à l'éradiquer en vue d'une normativité.
En ce sens, elle est antagonique de toute psychothérapie.
D'autre part, alors même que ses effets thérapeutiques
sont avérés, il faut rappeler que la psychanalyse
est née du refus de subordonner son action à la
suggestion, ce en quoi elle se démarque encore de la psychothérapie.
*
La formation des psychanalystes ne saurait s'envisager sans tenir
compte de cette spécificité de la psychanalyse.
Dans ce domaine, la grande difficulté a trait à
ce qui constitue la formation qu'un psychanalyste peut considérer
comme véritable pour s'autoriser à exercer la psychanalyse.
La demande de l'État vise nécessairement à
substituer à ce qui fait question pour chaque analyste
la réponse d'une instance quelconque - qu'elle soit d'État
ou qu'elle reste celle des associations analytiques importe peu
-, garante de sa légitimité. Or, même si
diverses associations se plaisent aujourd'hui à souligner
leur communauté de point de vue en réponse à
la demande sociale, il n'en reste pas moins que la question de
la formation n'a cessé de hanter la communauté
analytique, y provoquant débats et divergences. Au point
que l'on peut affirmer aujourd'hui que l'existence de cette question
de la formation des analystes fait partie de la formation même.
Les diverses associations qui s'opposent sur des éléments
décisifs de la formation et de la reconnaissance par les
pairs en sont la preuve vivante, dont témoigne tout autant
le fait qu'il existe un nombre très important d'analystes
qui ne sont pas inscrits dans une association.
Devenir analyste est toujours une décision anticipatrice.
Celui qui prend cette décision, même s'il est autorisé
par une hiérarchie, l'a déjà fait quand
il le demande. Il inaugure ainsi le mode de solitude qui sera
le sien, à chaque fois, dans son acte par rapport à
un analysant, jamais le même, jamais équivalent.
Aucune autorisation ne peut soutenir cette solitude en se consignant
dans une liste, chaque liste s'ajoutant à l'autre dans
un ensemble qui les contiendrait toutes.
La question de savoir comment peut s'authentifier ce franchissement
qui consiste dans le passage de l'analysant à l'analyste
doit donc rester ouverte. Mais c'est un fait : quand un analysant
prend cette décision de se dire " analyste "
et même s'il le fait après consultation d'autres
analystes, y compris le sien, il engage toujours un désir
dont il est le seul à pouvoir répondre.
*
Certains estiment satisfaisant le projet de loi voté par
le Sénat : selon leur lecture, il respecterait l'entière
liberté de la pratique analytique tout en dispensant les
psychanalystes inscrits comme tels dans les listes de leur association
de l'enregistrement préfectoral exigible des psychothérapeutes
non médecins et non psychologues. Outre que c'est préjuger
de l'obligation pour un psychanalyste d'appartenir à une
association, comment ignorer que cette discrimination des psychanalystes
est, sous couvert de reconnaître les uns comme psychothérapeutes,
les autres non, un pas insidieux vers l'intégration de
la psychanalyse dans la psychothérapie et, par conséquent,
vers le contrôle de celle-là à travers celle-ci
? D'autres collègues sont tentés par une adaptation
de la législation italienne à la France, solution
qui présente le même danger sous d'autres modalités.
Nous estimons que le renforcement, par ce biais, du pouvoir institutionnel
des associations de psychanalyse sur les psychanalystes va à
l'encontre des exigences que nous avons exposées concernant
la formation des psychanalystes. De fait, qu'une association
de psychanalyse puisse qualifier comme psychothérapeutes
ceux de ses membres qu'elle aura inscrits comme psychanalystes
dans son annuaire transformera ipso facto ladite association
en institut privé de formation psychothérapeutique,
sans parler du problème plus qu'épineux des modalités
d'habilitation des associations de psychanalyse qui seraient
habilitées à
Pour ces raisons, nous nous opposons au projet de loi voté
par le Sénat (Giraud-Mattei) ou à tout autre qui
viserait à réglementer l'exercice de la psychanalyse
et nous vous appelons à vous joindre à nous en
signant ce texte.
Sophie Aouillé, Pierre Bruno,
Franck Chaumon, Cécile Drouet, Guy Lérès,
René Major, Pierre Marie, Michel Plon, Érik Porge.