Journal l'Humanité
Rubrique Tribune libre
Article paru dans l'édition du 20 janvier 2007.

Dans l’intimité de Lou et d’Anna, remparts affectueux autour de Freud

À l’ombre du père. Correspondance, 1919-1937. Lou Andréas-Salomé, Anna Freud. Préface et traduction de l’allemand par Stéphane Michaud. Texte établi par Dorothée Pfeiffer. Hachette Littératures, 2006, 660 pages, 35 euros.

Trouvant une place originale parmi les correspondances publiées à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Freud,dont les Lettres à Fliess évoquées en octobre dernier dans ces mêmes colonnes, la correspondance entre Lou Andréas-Salomé, femme de lettres et psychanalyste au destin extraordinaire, et Anna Freud, qui deviendra la «gardienne» du temple freudien, constitue un document remarquable qui s’étend sur dix-huit années, ne s’interrompant qu’avec la mort de Lou Andreas-Salomé, en 1937.

C’est Freud lui-même qui met sa fille Anna en relation avec cette femme qu’il admire passionnément et qui restera toujours pour lui une interlocutrice privilégiée, sans que ce lien connaisse les vicissitudes que Freud connaîtra par ailleurs avec la plupart des psychanalystes qui le côtoieront.

Très vite, les échanges entre les deux femmes prennent un tour très personnel, intimité d’ailleurs anticipée par Lou-Andréas Salomé dès la première lettre, au début de laquelle elle gratifie Anna Freud d’un « Chère Mademoiselle Freud», ajoutant malicieusement : «J’ai déjà remplacé le "très honorée" par quelque chose de plus libidinal, pour parler freudien.» Tout au long de leurs lettres, d’une ligne à l’autre, elles passent de considérations sur leurs propres vies, la vie politique, le mouvement psychanalytique, ou encore des questions théoriques, à des préoccupations que l’on pourrait qualifier de beaucoup plus quotidiennes : tissage et broderie sont des sujets qui reviennent fréquemment. Mais toutes ces lettres, sans exception, ont cette caractéristique d’être comme aimantées par Freud qui y tient une place centrale. De ce point de vue, le titre donné à cet ouvrage, À l’ombre du père, se justifie pleinement, même s’il risque précisément de faire un peu d’ombre à la réelle personnalité de chacune de ces deux épistolières.

Dotée d’un appareil critique très conséquent, cette correspondance, qui présente la particularité d’être quasi complète (sur 433 pièces, 419 ont été conservées), intéressera, au-delà d’un public sensible à la psychanalyse et à son histoire, les psychanalystes et chercheurs qui y trouveront un point de vue tout à fait inédit et précieux sur l’inventeur de la psychanalyse.

Sophie Aouillé, psychanalyste

 

[retour au sommaire]