Marilyn dernières séances

Michel Scheider

Grasset, août 2006

 

Tente mois durant, de janvier 1960 au 4 août 1962, ils formèrent le couple le plus improbable : la déesse du sexe et le psychanalyste freudien. Elle lui avait donné comme mission de l'aider à se lever, de l'aider à jouer au cinéma, de l'aider à aimer, de l'aider à ne pas mourir. Il s'était donné comme mission de l'entourer d'amour, de famille, de sens, comme un enfant en détresse. Il voulut être comme sa peau, mais pour avoir été la dernière personne à l'avoir vue vivante et la première à l'avoir trouvée morte, on l'accusa d'avoir eu sa peau. Telle est l'histoire. Deux personnes qui ne devaient pas se rencontrer et qui ne purent se quitter. Des mots noirs et des souvenirs blancs. Dans la lumière adoucie d'un cabinet de psychanalyste se redit la dernière séance de Marilyn.

Michel Schneider a écrit sur la littérature : Baudelaire, Maman; sur la musique: Glenn Gould, Musiques de nuit, Schumann; et sur la psychanalyse: Blessures de mémoire, Voleurs de mots. Il a écrit deux fictions : Bleu passé et je crains de lui parler la nuit.

 

"D'un mythe, j'ai dû faire une personne" LE MONDE DES LIVRES | 21.09.06 |

Dans votre livre, le cinéma n'est-il pas bien plus qu'un décor ?

Je m'intéressais aux rapports entre la psychanalyse et le cinéma pour un scénario de documentaire. J'ai découvert que dans les années 1945-1965, nombre de cinéastes et de psychanalystes ayant fui l'Europe et le nazisme s'étaient retrouvés à Los Angeles dans une même communauté d'origine et de langue, partageant cette culture "Mitteleuropa" disparue dans la guerre. Entre ces deux mondes, il y eut une sorte d'osmose assez effrayante. Les psychanalystes participaient aux scénarios et aux tournages, et les réalisateurs, les acteurs, les producteurs étaient tous sur des divans. En toile de fond, Los Angeles en Technicolor et New York en noir et blanc. Ce que Freud appelait l'autre scène se jouait alors dans et autour des grands studios. Un écran nommé désir. Cette histoire d'amour et de désamour, de malentendu et de haine entre le cinéma et la psychanalyse atteignit un point d'incandescence dans la relation de Marilyn à Ralph Greenson. On croit voir un film noir mettant en scène des histoires de drogue, de sexe, de solitude et de meurtre. Ils n'ont pas couché ensemble mais ils ont vécu une histoire passionnelle d'emprise et de dépendance réciproques, à mille lieues de l'orthodoxie freudienne. Mais le vrai conflit qui sous-tend le roman n'est pas entre le cinéma et la psychanalyse, c'est celui - commun aux deux et qui nous traverse tous - entre les mots et les images.

Si la psychanalyse est un bon instrument d'enquête, elle semble, à vos yeux, impuissante à rendre compte de la vérité d'un être...

Le roman est découpé en séquences ou en séances qui reprennent les éléments du passé pour éclairer le présent et répètent des thèmes, des images, des mots. Comme au cinéma, ou dans une cure. Mais, au risque de heurter, je ne crois pas que la vérité guérisse, ni que la psychanalyse en permette l'élucidation. A la fin d'une cure comme à celle d'un roman, ce qui se sera vraiment passé, personne n'en saura rien. La psychanalyse vise à donner aux êtres qui s'y engagent un récit vivable de ce qu'ils sont et à raconter comment les choses pourraient s'être passées. Ce n'est pas si mal.

Tout en dégageant Marilyn de son mythe, vous en faites une personne opaque et infiniment souffrante, marquée par la fatalité...

Dans la vie comme dans le roman, je n'aime que les personnalités contradictoires, tourmentées, blessées. Celles que le désir déchire, comme dit Baudelaire, pas celles que vivre contente. Greenson était de ceux-là, et Marilyn plus encore. Mais d'un mythe, j'ai dû faire une personne. D'un monstre un personnage.

J'ai cru plus aisé de mettre en roman des personnes réelles, mais cela a été en fait plus difficile, car leur image est déjà formée dans l'oeil du lecteur et je ne peux les imaginer trop ou trop loin de ce qu'on croit qu'ils ont été. A la fin, Marilyn reste une énigme, une ombre blanche, le rayonnement d'une étoile morte qui nous parvient des années après sa disparition. Comme les êtres, peut-être que les romans ne sont pas faits pour être compris, mais pour être aimés.


Propos recueillis par Patrick Kéchichian