Rêver
sous le IIIè Reich
Charlotte Beradt
Editions Payot, février
2002
Collection : Critique de la politique
Selon Walter Benjamin, rendre compte d'une époque, c'est
aussi rendre compte de ses rêves. Charlotte Beradt (1901
- 1986), opposante de la première heure au régime
hitlérien, conçut dans une volonté de résistance
une étrange entreprise, comme si elle avait voulu appliquer
le principe benjaminien. De 1933 à 1939, elle décida
de recueillir les rêves de femmes et d'hommes ordinaires
afin de mesurer combien le nouveau régime "malmenait
les âmes". Convaincue de ce que ce matériau
serait riche d'enseignements sur les affects et les motifs des
êtres qui subissent l'insertion dans le mécanisme
totalitaire, elle rassembla, soit directement, soit indirectement,
trois cents rêves. Pleinement consciente du caractère
subversif du matériau ainsi collecté, elle envoya
ces textes à l'étranger où elle les retrouva
quand elle fut elle-même contrainte à l'exil. Ce
n'est qu'en 1966 qu'elle décida de tirer une oeuvre de
cette curieuse expérience. Trois caractères font
de ce livre un ouvrage exceptionnel : 1. Comme l'écrivit
Bruno Bettelheim, lire ce recueil de rêves est une expérience
bouleversante quand on s'aperçoit combien efficacement
le IIIème Reich "assassina" le sommeil "en
détruisant notre capacité de restaurer notre force
émotionnelle grâce aux rêves". A lire
Charlotte Beradt, on comprend jusqu'où s'étend
l'emprise de la domination totale, à savoir jusqu'à
la vie onirique même. 2. A travers les rêves s'effectue
une présentation inédite de la servitude volontaire
en régime totalitaire, prise dans toute sa complexité,
avec ses oscillations, ses retournements éventuels, sa
dynamique imprévisible. 3. Enfin, le livre de Charlotte
Beradt a valeur d'instrument de connaissance, car de façon
surprenante ceux qui ont rêvé sous la dictature
ont souvent pressenti les développements du régime
totalitaire et anticipé sur les analyses les plus élaborées
qui en ont été proposées. Le texte de Charlotte
Beradt est précédé d'une préface
de Martine Leibovici, philosophe, spécialiste reconnue
de Hannah Arendt, qui retrace la genèse de l'ouvrage et
en explore les dimensions théoriques. Il est suivi par
une réflexion de François Gantheret, psychanalyste,
qui, s'aidant de Freud et de Ferenczi, parvient à montrer
comment ce matériel traumatique est précieux pour
une approche analytique de la domination totale. On trouvera
en annexe deux essais consacrés à Charlotte Beradt,
celui de Bruno Bettelheim, et un autre, de l'historien allemand
Rainer Koselleck.
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