Histoire(s) et Traumatisme...

Jean Max Gaudillère et Françoise Davoine

Éditions Stock 18/01/2006

 

 

 

 

Un livre pour tous ceux que la souffrance humaine concerne, mais aussi tous ceux qui s'interrogent sur le lien mystérieux et essentiel qui relie l'histoire d'un homme à la grande Histoire. L'angoisse, le désordre et la folie, ne sont pas seulement issus de notre imagination. Nous avons en chacun de nous des fantômes qui semblent venir réclamer les droits des morts qu'on a oubliés, qu'on a tus, qu'on n'a jamais nommés. En particulier ceux que la guerre a emportés. Les auteurs sont allés interroger des psychiatres de guerre et ils ont travaillé avec eux. Ils sont aussi allés écouter les chamanes, ces guérisseurs qui dialoguent avec l'au-delà. Ils ont également écouté les fous... Les auteurs montrent que la folie, c'est aussi une manière d'échapper à la perversion (celle qui consiste par exemple à taire les sévices issus d'une guerre ou la torture, etc.) et de surmonter un traumatisme. Ils mettent en évidence que la transmission des drames humains entre générations ne peut se faire qu'au regard de la grande Histoire.

Revue de presse

C'est une zone de combat, sans repère ni réponse, où l'écroulement du monde se perçoit violemment. Ici, pas de cessez-le-feu : la souffrance présente s'éternise pour vitrifier et le passé et le futur, annuler la confiance, ruiner chaque promesse. En ces parages dont personne ne veut rien savoir, on croise des êtres singuliers... Parmi d'autres, une femme se tient là, au bord de l'innommable, aux confins de l'humain. Elle a choisi de se faire appeler Sissi, et elle dit : "Je vais vous parler de l'incompréhensible, c'est la terreur du monde... D'un coup de baguette historique, ils se sont transformés en calcaire... Est-ce que ça se croit vivant, les bébés ? (...) Ils travaillent, les bébés, j'hérite des bébés... C'est la guerre qui m'a rendue folle." Face à cette étrange impératrice, sortie d'hôpital psychiatrique après quinze ans d'internement, Françoise Davoine se sent inutile, un peu bouffonne même. Alors elle tâtonne, mobilisant les fragiles instruments qu'elle et son complice Jean-Max Gaudillière ont inventés, au long de ces trente dernières années, pour s'orienter au sein du chaos... ces deux psychanalystes ont développé leurs propres recherches dans un cadre à la fois universitaire et clinique, en un fécond va-et-vient entre les pratiques françaises et américaines... Trois décennies durant, donc, Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière ont fait face. Ils n'ont pas ramené des "détraqués" à la raison, mais épaulé, mieux, rencontré des femmes et des hommes qu'ils considèrent comme des partenaires, des guides indispensables. D'abord publié aux Etats-Unis, Histoire et trauma est un livre humble et saisissant, qui témoigne de ce compagnonnage épique à travers les territoires ravagés de la psychose. Ce voyage est essentiellement freudien, bien sûr, mais les deux "anciens combattants" qui escortent les auteurs se nomment Descartes et Wittgenstein. De même, ils ne s'interdisent pas tel détour par la sagesse orientale... De cette ouverture commune, de ce frayage partagé, l'essai magnifique de Davoine et Gaudillière livre quelques moments rares...

Jean Birnbaum - Le Monde du 24 février 2006