Le
jour où Lacan m'a adopté
Gérard Haddad*
Editions Grasset, 2002
article sur ce livre
"Je
m'assis, calme et décidé, sur le bord du divan.
Lacan en fut tout surpris: Que se passe-t-il ?
Je veux vous parler face à face, cette fois.
- Eh bien, d'accord
Il s'assit en face de moi. Il semblait très ému,
inquiet peut-être. Les mots jaillissaient de ma bouche,
tranchants comme une lame, dans une totale vérité.
Qu'ai-je dit ce jour-là ? Une longue plainte probablement,
jaillie de mon infinie détresse. II m'écoutait
au même niveau de vérité. Ni lui ni moi ne
jouions. Quelque chose de la vie et de la mort était en
débat. "
Ce texte est le récit, presque
le roman, d'une expérience qui a transformé radicalement
la vie de son auteur. En 1969, alors qu'il est ingénieur
agronome, Gérard Haddad rencontre Jacques Lacan et commence
avec lui une psychanalyse. Cette aventure va durer onze années
au cours desquelles se sera opérée une métamorphose.
Pour la première fois, depuis Freud, un psychanalyste
se risque à raconter sa propre analyse. Il nous livre
ici un témoignage unique sur la pratique si controversée
de Lacan auquel l'auteur rend pourtant hommage.
* Gérard Haddad, ingénieur
agronome, psychiatre et psychanalyste, a notamment publié
L'Enfant illégitime (Sources talmudiques de la
psychanalyse), Manger le livre (Grasset, 1984), Les
Biblioclastes (Grasset, 1990), Freud en Italie (Albin
Michel, 1994), et il est traducteur de E. Ben Yehouda et Y. Leibowitz.
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ce livre
Il n'y a plus d'adoption
Le jour où Lacan m'a adopté
de Gèrard Haddad (Grasset, 2002, pp. 374, 20,00)
est-il bien le récit, presque le roman, d'une expérience
qui a transformé radicalement la vie de son auteur ? Apparemment
ceci est le message de Gérard Haddad, ingénieur,
agronome, psychiatre et psychanalyste, qui a fait son analyse
avec Jacques Lacan.
Dans la psychanalyse française ne se pose aucune question
à se déclarer psychiatre et psychanalyste, mais
cependant la psychanalyse implique le déclin de la psychiatrie
en tant que théorie et cure de la psyché. Et la
psychothérapie, qui est une création de Goebbles,
n'a pas besoin de Freud pour administrer l'euthanasie de l'intelligence.
L'inconscient de Freud reste inguérissable. Les échecs
de la maîtrise de soi et de l'autre ne sont pas curables
avec une autre maîtrise, ce qui comporte d'autres contre-pas.
Ainsi le titre même du roman est une erreur technique,
et non seulement de Gérard Haddad.
La rencontre de Haddad avec Lacan s'inscrit-elle dans le mythe
ou dans un réel présumé entre deux personnes
? Est-elle vraiment la première fois qu'un psychanalyste
raconte son analyse ? Mais surtout, quelle serait-elle la transformation
- ailleurs appelée métamorphose - de cette aventure
?
L'expérience de transformation accomplie le cycle de la
métamorphose et elle concerne le personnage, celui qui
au but du voyage revient au point du départ, c'est-à-dire
celui qui s'est occupé de son fantasme fondamental.
Le fantasme d'origine exclu l'originaire. Les questions qui se
trouvent encore ouvertes dans la recherche de Jacques Lacan deviennent
un système pour ses anciens élèves. Par
exemple, il n'y a plus aucune " transformation radicale
", et plus précisément la transformation ne
concerne pas l'auteur, le nom - ou sa caricature nommée
sujet - mai le temps. La transformation réside dans l'expérience
et procède de la racine intellectuelle, de la trace de
vie, comme mode de l'ouverture.
L'adoption est créée au nom du nom, en ôtant
sa fonction, celle que Freud appelle refoulement. Le père
adoptif reste animal totémique, animal de fantaisie.
Ce livre de Haddad est-il un témoignage unique de la pratique
controversée de Lacan ? Ou bien, dans ce témoignage,
Lacan est le nom de l'Autre (en effet, une variable du nom du
nom), celui du père adoptif en tant que positif, en laissant
sur le fond l'idée du papa négatif ?
Il n'y a pas de rencontre entre un analysant et un analyste dans
le sens de deux qui se rencontre, même dans l'intersubjectivité
polynomiale. L'inexistence du rapport sexuel est aussi celle
de cette gnose impossible de la rencontre.
La rencontre advient avec le semblant, l'objet de la pulsion,
dans le contingent. Et le psychanalyste occupe la position impossible
de semblant, sans l'être et sans se prendre pour.
Quel est donc le statut de la métamorphose de l'aventure
qui durera onze ans d'analyse ? Le personnage ainsi crée
par la métamorphose ne peut qu'être un façonnage
d'un sujet de zoologie fantastique, ce que Pirandello appelle
toujours " en cherche d'auteur ". La métamorphose
est une figure gnostique - qui impose l'arbre de la connaissance
du bien et du mal à la place de l'arbre de la vie - c'est-à-dire
un contre-pas de la connaissance impossible. En outre, la durée
- les années d'une analyse - est une façon de noyer
le temps dans le lieu commun et dans la fin des choses.
Ce qui compte ce n'est pas l'importance de la durée d'une
analyse mais l'élaboration, l'articulation, et surtout
le devenir dispositif intellectuel et non plus personnage. Alors,
ils sont essentiels le projet et le programme de vie - qui sont
inconscients, ou bien non-conventionnels - et les dispositifs
du faire sans lesquels il n'a pas d'entendement, ce qui n'empêche
pas chacun d'avoir la sensation de tout comprendre.
Quel est la question du dégât à propos de
sa propre vie ? En croyant en la ritournelle lacanienne que ce
qui peut arriver de mieux à l'homme n'est rien d'autre
que les dégâts de sa vie, Haddad ne peut que poursuivre
dans l'économie de ses dégâts. Haddad croit
dans le dégât, qui résulte fondamental pour
lui. Et la croyance dans le dégât est celle aussi
dans le " fait " - dans le réalisme qui est
abdication au symbolique - qui ôte l'actuel et rend le
signe un souvenir indélébile, tracé sur
la tabula inconsciente : " La principale révélation fut précisément la découverte du fait religieux dans
l'inconscient ". Haddad ne semble pas effleuré par
la foi - l'opérateur absolu - et la question religieuse
reste un prétexte, un pendant entre papa et son enfant.
Si la plus grande affaire de son analyse réside dans la
révélation du fait religieux dans l'inconscient,
l'analyse doublerait le point d'arrivée sur le point du
départ. C'est le cercle gnostique et magique de la répétition
du même, qui selon Freud est forgée par les mains
du supposé sujet. La question fondamentale n'est rien
d'autre que la question circularisée, qui tourne en rond
autour d'un point fixe établit par le fait religieux.
C'est le fantasme maternel, naturel, qui couvre la question de
la religion comme si elle concernait le père et son fils.
La religion comme relation - sans plus de religiosité
- c'est un mode de l'ouverture, ce qui reste impensable pour
le lacanisme, et hors de la portée du freudisme.
À un certain point du roman de son analyse, Haddad lance
un nouveau combat contre l'impossible. Et l'occurrence ? Que
reste-t-il de l'épreuve de vérité qui habite
le contingent et non pas l'impossible ? Certes, cela n'est pas
une exclusivité de Gérard Haddad. Par exemple,
Jacques Derrida fonde sa philosophie sur l'impossible et donc
il croit possible de poser de véritable question à
la psychanalyse. La lutte contre l'impossible exclu le contingent,
la guerre intellectuelle - l'autre nom de la politique du faire
(ce qu'il faut faire).
Le combat de Gérard Haddad - qu'il soit nouveau ou vieux
- porte au drame ; et en tel sens, son livre est le drame d'un
personnage en cherche d'auteur, qu'il semble le trouver le jour
où Lacan l'a adopté. Rien n'est moins discutable
de cette adoption. Dans ce cas, " le " Lacan duquel
parle Haddad est un autre personnage bâti pour la nécessité
du scénario. Définir Lacan comme son père
et sa mère dans le transfert signifie que Lacan est le
miroir de la famille : miroir domestique. Toi pertinent comme
nom du père, c'est-à-dire nom du nom. Forclusion
de la forclusion.
Le questionnement de l'expérience des autres psychanalystes
qui ont été en analyse avec Lacan porte Haddad
à s'interroger sur le statut de la structure mafieuse
dans la psychanalyse. Il faut dire que le fantasme maternel non
prit dans l'élaboration est mafia. Qu'est ce que la mafia
? C'est une forme de généalogie. À la même
question posée au congrès de Rome de l'École
Freudienne en 1974, Lacan a répondu que la société
est mafia. La copie de l'Autre et la copie de soi est mafia.
La société des copies et des places est mafia.
La famille dans la fantaisie d'adoption est mafia (l'accueil
d'un enfant dans une autre famille requiert d'autres dispositifs).
Qu'est ce que la famille mafieuse ? C'est la famille sans son
mythe. La famille présumée réelle.
Le mythe de la famille ne s'instaure pas par voie d'adoption,
mais en parlant et en faisant selon l'occurrence, sans principe
de choix, sans alternative. Lorsqu'un psychanalyste occupe une
position paternelle ou maternelle rien ne commence, parce que
la fonction du nom ne s'instaure pas.
L'abandon n'appartient pas au sujet, c'est une propriété
de l'objet de la parole. Et lorsque s'instaure l'objet de la
pulsion - sans plus de pathos ni de passion ni de pathologie
-il n'y a plus d'adoption. Il y a le commencement.
Christiane Apprieux
Rédactrice en chef
de " Transfinito "
Novembre 2002
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