Interview de René Major
propos recueillis par Catherine Podguszer
le 10 décembre 1997

 

 

• Où en est l'appel pour les Etats Généraux ?
  
  L'appel a été annoncé lors d'une réunion à Paris le 9 février 97. La rédaction de son texte date du 17 juin 97. Il a été mis au point après un certain nombre de consultations dans différents pays, dont la France, afin de savoir si la première rédaction de cet appel pouvait soulever des objections de fond. Même s'il apparaît sous une seule signature il s'agit en fait de signature collective et j'insiste sur ce point : je ne suis que l'initiateur d'un mouvement qui doit m'échapper complètement puisque c'est à l'ensemble des signataires de décider de ce que deviendront les états généraux, des modes de réflexion qui peuvent s'établir et des conséquences qui peuvent en être tirées pour l'avenir.
  
  Les réponses ont été largement favorables à un tel appel. Concernant l'hexagone il est intéressant de constater que ces réponses favorables proviennent de milieux très différents dans l'héritage de la pensée de Freud et traversent les clivages qui peuvent exister en France entre ceux qu'on appelle les lacaniens et les non lacaniens.
  
  Plusieurs centaines de signatures ont été reçues de différents pays ( L'Amérique du Nord, l'Amérique Latine, l'Italie, la Belgique, l'Allemagne, la Suède...)
  
  
• Est-ce que des groupes de travail se sont déjà constitués autour de cet appel?
  Je sais qu'en Amérique Latine une réunion a eu lieu récemment et un groupe s'est mis en place. Par ailleurs des groupes de travail peuvent déjà exister et qui n'ont pas été nécéssairement constitués pour les états généraux mais dont le travail pourra être connu lors de cette manifestation. Par exemple, il existe un groupe récemment constitué qui travaille autour de "Qu'est-ce qu'une école pour la Psychanalyse ?". Voilà une question qui intéresse les état généraux.
  
  
• Est-ce que des responsables ont été déjà nommés ?
  
  Oui pour le comité de préparation de cet énorme réseau de travail et pour l'organisation locale puisque les états généraux se tiendront à Paris à la Sorbonne, probablement en mai de l'an 2000. Le comité de préparation en France sera formé d'une vingtaine de personnes. Ceux qui se sont proposés ou qui ont accepté d'en faire partie proviennent de différents groupes psychanalytiques. Pour la plupart des pays il existe déjà deux à trois personnes qui ont accepté la responsabilité de s'occuper de la diffusion de
  l'appel, de voir comment des groupes de travail s'organisent. Ils examinent les propositions qui sont faites et les transmettent. La liste de ces responsables sera connue dans les prochains mois
  
  
• Comment pressentez-vous la situation de la psychanalyse
  dans les années à venir?
  
  J'aimerais dire un mot de l'appellation états généraux qui se démarque de ce qu'on appelle habituellement Colloques, Congrès etc, pour la raison que cette manifestation n'est légitimée par aucune organisation existante déjà ou programmée par des instances officielles émanant d'organisations en place. Il y a donc de ce point de vue une certaine analogie avec ce à quoi a abouti l'Histoire des états généraux comme telle en France et en Europe(1).Au XIVè au XVIIIè siècle, la tenue d'états généraux se confond avec des états de crises. En France : la guerre de Cent Ans, la Fronde, la Révolution. Mais au départ, et pendant quatre siècles, ils se tiennent sur convocation du roi et satisfont au devoir de conseil que les vassaux doivent à leur souverain. Toutefois, au fil des siècles, les convocations seront remplacées par des élections qui donneront une représentation des trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers-état. Du simple conseil, les députés passeront aux revendications. L'égale représentation des ordres fera place à une large majorité du tiers-état correspondant mieux à la réalité et au sein de laquelle se trouvent les gens de métier. A la société hiérarchisée selon la " dignité " se verra substituer la république des talents. Le 17 juin 1789, le tiers-état se proclame Assemblée nationale. Le 9 juillet, l'Assemblée se déclare constituante et affirme un mois plus tard la supériorité de son pouvoir constituant sur la volonté royale. Rien désormais ne sera plus comme avant.(1)
  
  L'originalité consiste à demander à l'ensemble de la communauté psychanalytique internationale d'avoir à fournir un bilan de ce qui s'est passé, après un siècle d'existence, sur le plan de la pratique, de l'évolution de la théorie, de la pensée psychanalytique, de son extension dans plusieurs domaines, ainsi que sur le plan de la constitution de ses institutions, de ses modes de transmission d'un savoir, d'une formation ou d'une expérience. Les modèles de transmission de la psychanalyse ont été proposés jusqu'à maintenant, sinon imposés par des pionniers, par ceux qui ont occupé des responsabilités importantes au sein de mouvements locaux, régionaux ou internationaux. Je pense qu'il est essentiel de faire un état des lieux de ce qui a été fait, comme par exemple en ce qui concerne les modes de transmission:
  - À quelles difficultés se sont-ils heurtés ?
  - Quelles ont été les impasses ?
  - Sur quoi la réflexion s'est portée ?
  - Comment on a su transcrire la difficulté et la spécificité de la transmission de la psychanalyse par rapport à tout autre mode de transmission du savoir, étant donné qu'elle ne se fait pas en général sur un mode académique et universitaire, sauf pour une part seulement ?
  - Quel est le rapport de ce mode de transmission avec les pouvoirs d'état en place ?
  
  Pour prendre une comparaison, limitée aux différents courants isolables comme tels en Angleterre, comme ceux d'Anna Freud, Mélanie Klein, Winnicott, pour ne nommer que ceux-là, ils ont pu cohabiter dans la même institution en connaissant des heurts importants et des controverses souvent véhémentes avec, à l'intérieur de ces mouvements, des débats concernant la formation analytique ou le "devenir analyste"( je serais d'ailleurs dans un autre contexte amené à discuter de toute cette terminologie ).
  
  Ces courants divers ont exercé leur autorité pour que les candidats passent par telle filière plutôt que par telle autre, chaque courant cherchant malgré tout à exercer une sorte d'hégémonie tout en cohabitant dans la même institution. Les effets de ces luttes d'influences se font encore sentir aujourd'hui, comme par exemple lorsqu'on oblige un candidat à faire un "contrôle" chez un Kleinien plutôt que chez un Anna-Freudien ou chez un Winnicottien et vice et versa.
  
  Par comparaison, en France différents courants sont essentiellement représentés au sein d'une certaine tradition freudienne - avec les singularités que cela représente dans ce qui est conservé de la pensée de Freud et ce qui en est négligé - qu'il faudrait comparer de manière rigoureuse avec ce qui a été développé par Lacan, sa lecture de Freud, et la critique qui a pu être faite de cette lecture, en même temps que des modes de transmission différents mis en place comme la Passe avec ses bonheurs, ses
  avatars et ses impasses. Il serait temps de confronter sérieusement ces expériences qui ont été menées au sein d'institutions qui se sont mises en fonctionnement autonome l'une par rapport à l'autre plutôt que dans une confrontation au sein de la même institution.
  
  Si on envisage l'avenir de la psychanalyse, je pense que ces clivages internes ou ces cloisonnements sont amenés à connaître un dépassement. Il me semble impensable, pour le dire schématiquement, qu'un psychanalyste du troisième millénaire n'ait pas, non seulement lu Freud, mais Lacan, Winnicott, Mélanie Klein etc., et n'ait pas dépassé cette sorte de combat de "chapelle" entre telle ou telle tendance.
  
  En Amérique du sud, on constate que ce débat hexagonal est à la fois transposé et déplacé. Le président de l'I.P.A., Horacio Etchegoyen, a pu avoir un dialogue avec Jacques-Alain Miller de l'Ecole de la Cause Freudienne et le fait que ce dialogue puisse être publié, est un signe du temps de ce qui ne pouvait pas se faire auparavant, quoique l'on pense du contenu de ce dialogue, et de qui ne pourrait pas non plus se faire en France actuellement.Le président de l'I.P.A., Horacio Etchegoyen, a pu avoir un dialogue avec Jacques-Alain Miller de l'Ecole de la Cause Freudienne et le fait que ce dialogue puisse être publié, est un signe du temps de ce qui ne pouvait pas se faire auparavant, quelque soit ce qu'on pense du contenu de ce dialogue, et de qui ne pourrait pas non plus se faire en France actuellement. Il fallait que ça passe par une autre culture psychanalytique. Cette culture était dans le passé plutôt entre deux tendances, celle de Freud et celle de Mélanie Klein, mais avec la distance par rapport à Mélanie Klein qu'on n'avait pas en Angleterre et la distance par rapport à Lacan que nous n'avons pas toujours en France. Par distance je veux dire l'absence de transfert direct. Le dialogue dont je parlais est moins, à mes yeux, le signe d'une nouvelle alliance que celui d'une possible confrontation.

Il existe un clivage dans la répartition des psychanalystes dans le monde selon leur appartenance à l'Association Psychanalytique Internationale ou à l'Association Mondiale de Psychanalyse. Je pense que cette bipartition est aussi amenée à être dépassée. Il y a évidemment un très grand nombre de psychanalystes qui ne se retrouvent ni dans l'une ni dans l'autre. De ce point de vue la France est exemplaire dans la mesure ou il y a 15.000 psychanalystes environ dont près de 1000 sont liés à des sociétés affiliées à l 'I.P.A. et quelques centaines liées à l'Association Mondiale de Psychanalyse. Entre les deux il y en a un nombre majoritaire dans l'Inter-Associatif (groupe d'associations issues de l'Ecole Freudienne) et tous ceux, près de la moitié, qui n'appartiennent à aucune association et qui ont néanmoins reçu une sérieuse formation.

C'est à l'ensemble de ceux qui participeront aux Etats Généraux qu'il appartiendra de déterminer s'ils s'en tiennent à l'état des lieux, aux bilans, aux propositions qui seront faites et à leur diffusion ou s'ils souhaitent poursuivre quelque chose au-delà de la tenue même des Etats Généraux.

paru dans le journal "papier" de
Psychanalyse in situ

1" Le principe des Etats Généraux ", texte de René Major

 

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