Laurence Savignon_Quelques reflexions sur le réchauffement de la planète


psychanalyse In situ


Quelques réflexions sur le réchauffement de la planète

Laurence Savignon

 

"Le réchauffement climatique observé ces dernières années en Arctique inquiète beaucoup de gens dans le monde mais certains s'en réjouiraient plutôt dans les milieux pétroliers au Groenland, car il pourrait favoriser la prospection de l'or noir dans cette île."

"Cette tendance du réchauffement va se poursuivre, ce qui signifie qu'il y aura moins de glace sur la mer, et il sera donc plus facile et moins coûteux de prospecter le fonds marin." (déclaration du chef de division, au Bureau des matières premières de Nuuk, capitale du Groenland).

 

 

Si les prises de position de la communauté psychanalytique sur tel ou tel fait de société ne paraît en rien incongru, certains domaines sont "réputés" radicalement en dehors de la compétence de notre discipline. Ainsi en est-il par exemple du réchauffement climatique et des phénomènes extrêmes qu'il engendre.
Bien entendu peuvent se trouver parmi nous certains pour qui la corrélation réchauffement/phénomènes extrêmes est une vue de l'esprit, ou plus sérieusement n'est pas "scientifiquement démontrée". Nous pouvons cependant nous fier à certaines statistiques qui ne laissent pas trop d'ambiguïté sur la question :

Depuis 1960, le nombre d'événements climatiques très violents double presque à chaque décennie:
décennie 60 : 16
décennie 70 : 29
décennie 80 : 44
décennie 90 : 72 (de 91 à 98. Manquent les 2 dernières années)

Quant à la décennie "00-10", gageons qu'elle suivra cette courbe exponentielle à l'heure où 2005 a de fortes chances de battre le record de l'année la plus chaude jamais enregistrée sur la planète.

Pour ma part, je partirai donc du "présupposé" que tout ceci n'est pas une vue de l'esprit et qu'une certaine forme de dénégation en la matière relève d'une "volonté" de non sa-voir. De la même façon, ne pas faire le lien entre ces phénomènes et l'activité humaine trouve en réalité son expression dans le fait de considérer que tout cela ne peut entrer dans le champ de notre réflexion. Après tout qu'auraient à dire les psychanalystes sur l'évolution "naturelle" du climat? Mais si tant est que nous considérons que ces phénomènes sont bel et bien liés à l'humain par le biais de ses activités, alors, nous avons également à les considérer comme des "effets de langage".
Bien entendu, nous ne sommes pas accoutumés à penser aux effets de celui-ci hors champ de l'humain. Certaines dérives de la science nous ont questionnés et nous questionnent dans la mesure où elles viennent s'inscrire dans le champ évident de notre savoir. Telles par exemple les questions de filiation dans le cas de la procréation médicalement assistée, ou bien encore le clonage humain et j'en passe.

Cela dit peut-être n'avons-nous pas eu l'attention suffisamment attirée par ce simple fait que ces différentes dérives et nouvelles donnes peuvent prendre forme et générer question dans le contexte d'un environnement tout simplement vivable. Étendre notre questionnement vers un "au-delà" nous a semblé pour l'instant impensable. Mais face à l'éventualité d'une remise en question radicale de nos possibilités à survivre dans un environnement devenu proprement "invivable", les questions qui jusqu'à présent nous ont agitées risquent de n'apparaître que comme futilité de salon.

Notre impuissance supposée à "agir" sur de tels phénomènes aurait-elle été la cause tant de notre aveuglement que de notre désengagement ? Par ailleurs pris dans la nasse commune, comment admettre que pour cette fois, de tout cela nous sommes sans doute responsables, sinon coupables, selon l'expression consacrée?

Et pourtant, tout cela était bien affaire de "bouche" et attentifs à ce qui sort de la bouche qui parle, n'avons-nous sans doute pas été suffisamment attentif à celle qui mange… Il est pourtant bien évident que la frénésie orale n'est pas étrangère aux phénomènes actuellement observés. Les paragraphes cités en exergue en sont une illustration. L'or noir qui pourrait être considéré comme le symbole de la nourriture de base de notre économie, dont découle la quasi totalité de nos activités humaines fait ici office de révélateur: - dans l'optique du chef du bureau des matières premières, la fonte des glaciers du Groenland causée par le développement exponentiel de nos activités depuis une cinquantaine d'années n'est pas considéré comme un signal d'alarme, mais comme une aubaine. Le pompier pyromane aux prises avec sa jouissance mortifère ne voit pas non plus que sa maison brûle.

L'épuisement des ressources énergétiques fait partie de l'impensable. La preuve en est que nous n'avons pas majoritairement, voulu en voir l'évidence.

S'interroger sur notre frénésie dans le domaine était finalement mal vu. Ne s'agissait-il pas au final de s'intégrer dans la société et sortir d'une prétendue "crise d'adolescence". D'être du côté de père Culture contre mère Nature. Mais lorsque la Mère change curieusement de nature, est-il encore temps de s'apercevoir que c'est au final Elle qui fait la loi et qui devient seule capable d'imposer, par la force la castration qu'aucun Père-la-culture n'a su imposer. La réponse est violente. Lorsque des garnements ne veulent rien entendre, rien savoir, alors c'est par la force que les choses se font. Nous en sommes arrivés là. Et c'est maintenant très concrètement qu'il nous faudra prendre position, en en retournant plus que jamais à notre responsabilité individuelle, en nous questionnant sur nos modes de vie, en s'interrogeant sur nos propres pulsions à consommer à gogo, de l'avion, du téléphone portable, du frigo neuf, de la voiture dernier cri, de la clim et de l'eau chaude, sans parler de nos déplacements aux quatre coins de l'Hexagone et ailleurs pour bien entendu, "la bonne cause"…

Mais quand des scientifiques tirent la sonnette d'alarme, alors s'ouvre pourtant un espace pour la réflexion. Plus l'"archaïque" est en jeu et plus les phénomènes qui en sont issus sont du même ordre. Nous n'avons pas vu se développer massivement aux quatre coins de la planète cette épidémie de cannibalisme qui ne donnait pas son nom.

Et avons-nous pris la juste mesure de cette massive régression orale, peut-être trop évidente pour être repérable? Et pourtant, la réduction du Sujet au statut d'objet consommable, la "marchandisation" du monde en était le symptôme. Mais peut-être le fait d'en avoir été dans le même temps largement les bénéficiaires aura-t-il contribué à nous rendre pour le moins aveugles sur l'imminence des catastrophes subséquentes.

Quoi qu'il en soit, si le réchauffement climatique et la sécheresse sont à l'ordre du jour, le terme de "changements climatiques" est beaucoup plus adéquat à la situation. En effet, certains climatologues pensent par exemple que la fonte des glaciers de l'Arctique pourrait par exemple engendrer un refroidissement très sensible des régions du Nord de l'Europe du fait d'un affaiblissement du Gulf Stream. Cette hypothèse fut d'ailleurs celle retenue pour le scénario du film "Le jour d'après". Et même si la mise en scène et l'esprit du film ont pu être qualifiés à juste titre de typiquement hollywoodiens, il n'en demeure pas loin que la vision de hordes de "réfugiés climatiques" en quête d'un lieu pour survivre, peut maintenant être considérée comme prémonitoire au vu des récents événements à la Nouvelle Orléans et dans le Golfe du Mexique en général.

Persister à penser que l'homme n'est pour rien dans ces phénomènes relève à mon sens d'une effarante dénégation. Penser que cela ne "nous" concerne pas, en tant que psychanalystes, est en réalité la "preuve" que nous persévérons dans la-dite dénégation. Dans le même ordre d'idée penser que nous n'y pouvons strictement rien révèle alors un sombre fatalisme.

Si les catastrophes actuelles sont des effets de langage, dans la mesure où elles sont produites par l'Homme, alors le langage y peut quelque chose. Les coups de semonces de la Nature doivent être entendus et relayés par la Culture. Des renoncements s'imposent. Nous savons maintenant où est la limite. Si nous l'outrepassons à nouveau, c'est que définitivement, nous sommes hors la Loi. En réalité, nous l'étions et nous ne le savions pas…

septembre 2005

 


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