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Miroir ne vois-tu pas...

 

"Telle est la fonction du conte, amener l'auditeur, en lui suggérant
autre chose : à voir ce qu'il a devant les yeux.

Paul Auster, L'invention de la solitude.


    D
ans l’Âne d’or
[1] , Apulée raconte que Psyché était la plus jeune et la plus belle des trois filles d'un roi. Tous les sujets de son royaume se pressaient autour d'elle pour l'admirer. Ils lui rendaient même un culte, oubliant les marques de dévotion qu'ils devaient à Vénus (Aphrodite). La déesse de l'amour ne put envisager de partager sa souveraineté avec une «fille des hommes» et en conçut alors une jalousie vengeresse…

… Elle appela à l’aide son fils Cupidon (Éros), lui demandant d'inspirer à Psyché de l'amour pour le plus laid et le plus méprisable des hommes. Cupidon, telle une flèche à son arc, s'envola vers la jeune fille. Il fut tellement frappé par sa beauté qu'il s'éprit d'elle et n'exécuta pas les ordres de sa divine mère.

 

Tandis que les deux sœurs de Psyché épousaient de riches personnages, la belle jeune fille ne se décidait pour aucun de ses prétendants. Fort soucieux, le roi son père consulta l'oracle d'Apollon, qui lui ordonna de vêtir sa fille en noir et de l'accompagner en haut d'une colline, où un monstre viendrait s'unir à elle. Malgré son désespoir, le roi exécuta les ordres et abandonna Psyché. Le lendemain, lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle se trouvait dans un jardin enchanté entourant un palais. Des servantes, qu’elle entendait mais ne voyait pas, lui servirent un somptueux dîner,  puis elle alla se coucher. Dans la nuit, elle sentit une présence à ses côtés. Elle crut que c'était le mari dont lui avait parlé l'oracle. Il repartit avant le lever du jour,  prévenant  Psyché de ne surtout pas tenter de le voir.

La jeune femme obtint la permission de regagner quelques jours ses foyers pour revoir sa famille. Ses sœurs, jalouses de la voir si heureuse, la firent douter en lui déclarant que dans les ténèbres de la nuit, elle devait certainement s'unir à un monstre. Troublée, Psyché, dès la nuit qui suivit son retour dans le palais, s'approcha de son époux endormi et l'éclaira d'une lampe. Au lieu d'un monstre, elle distingua Cupidon, le plus beau et le plus aimable des dieux. Eblouie, elle avança la lampe plus près encore, et une goutte d'huile bouillante tomba alors sur l'épaule de son divin époux. Celui-ci s'éveilla, reprocha à Psyché sa méfiance et disparut. Psyché erra à sa recherche et s'adressa finalement à Venus. La déesse, trop heureuse de se venger, retint Psyché à son service comme esclave et lui imposa des travaux à réaliser, rudes et humiliants. Elle l’envoya enfin jusqu’aux portes de l’enfer afin de séparer définitivement son âme de son corps. Psyché traversera ces terribles épreuves, et grâce à la ténacité de son amour retrouvera les faveurs de Cupidon.

Psyché n’a pu trouver aucun homme pour la contenter. Elle a attendu Cupidon, l’amour lui-même.  Elle peut toucher et entendre mais ne peut voir, car voir c’est capter, figer, posséder.  Psyché veut pourtant « voir pour y croire »... à l’amour !  Elle est empêchée de se fier à ce qu’elle a pourtant senti.  A-t-elle voulu posséder l’amour alors qu’il ne peut que s’éprouver ?

Psyché est l’âme en tant que souffle de vie.  Le souffle vital ne se possède pas.  « Voir est la condition du connaître. Connaître le souffle qui anime, c’est vouloir le saisir sans égard pour ce qui est animé, dans l’irrespect du corps animé par le souffle, c’est négliger ce corps et le désanimer, c’est déjà le considérer comme un cadavre. » [2]   Un corps  vivant n’est pas réductible à son reflet dans une psyché ou dans le regard supposé des autres, qui le fige.  C’est un corps animé, en mouvement.

Toucher et être touché(e) impliquent un corps avec son contour, son enveloppe, habité par ses sensations, ses émotions, ses perceptions … son âme.   Écouter c'est se laisser affleurer par des sons.  Entendre c’est se laisser toucher dans son âme. Entendre et être entendu(e) sollicitent une relation à un(e) autre, dans la  distance souhaitable et avec l’empathie nécessaire pour l’accueillir comme un être radicalement différent de soi.  Une réciprocité qui invite à la possibilité d’une «rencontre vraie»,  celle qui ne peut laisser indemne…



[1] Apulée, L’Âne d’or ou Les Métamorphoses,   « Le conte d’Amour  et de Psyché », Gallimard, 1975

[2] François Roustang, La fin de la plainte,, Odile Jacob, Paris, 2000