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Saute d'humour...

 catherine podguszer

 

"L'humour ne se résigne pas, il défie."
Sigmund Freud

 

Face à une situation ou à un événement difficile à surmonter, différents choix de réactions peuvent se présenter. En utilisant l'humour, nous pouvons faire partager à d'autres le plaisir éprouvé à nous défaire d'un excès d'angoisse. L'humour est une capacité à se libérer des affects accumulés, conscients ou non, une forme d'esprit à la fois plaisante et sérieuse, s'attachant à souligner avec détachement, mais sans amertume, les aspects insolites ou absurdes de la réalité.

Une des caractéristiques importantes de l'humour est sans doute la dédramatisation d'une situation pénible afin de la rendre plus supportable ou plus agréable pour soi et vis à vis de l'entourage. Il nous permet de triompher de la peur, de l'incompréhension, de l'humiliation… C'est une façon de passer de l'état de subir à celui d'observer dans la distance, voire de critiquer ou même d'apprécier. L'humour permet aussi de rompre brusquement une attente ou une idée que l'on s'était faite du déroulement supposé d'un événement à venir.

L'humour permet certes de sourire et de faire sourire, mais à condition de rire d'abord de soi-même… Un "soi-même" qui ne va pourtant pas de soi ! Freud en a construit l'échafaudage dans son élaboration de la structure psychique
[1]. Il la décompose en trois grandes instances : Le Ça, le Moi et le Surmoi. Le Ça, représentant l'ensemble des pulsions, anime le besoin de la satisfaction immédiate et pousse vers tous les excès. Il peut être tentant de se laisser mener par le Ça, mais il y a des conséquences… Le Surmoi intervient alors pour nous remettre dans le droit chemin ! Il représente les règles et les interdits, c'est la police intérieure, la raison. Le Ça et le Surmoi sont donc en constant désaccord, mais le Moi est là pour négocier leurs disputes. Il est celui qui juge et qui doit décider à qui obéir ou non...

Le Surmoi est l'héritier de l'instance parentale, la relation entre les parents et l'enfant. Son rôle premier est de tenir le Moi sous (une sévère) surveillance en continuant à le traiter comme les parents pouvaient le faire dans l'enfance. Il demeure néanmoins le noyau du Moi avec lequel il se confond parfois au point de ne pas pouvoir se distinguer comme dans la mélancolie et dans tout état dépressif.

Le Surmoi tient un tout autre rôle dans le processus de l'humour. Freud compare ce processus avec celui de l'état amoureux. Dans cet état amoureux le Moi "se vide"
[2]vers l'"objet d'amour". Il transporte ainsi une quantité importante d'investissements affectifs, amoureux, vers l'objet de son amour. Dans l'humour, le Moi investit le Surmoi de telle façon que celui-ci devient un "bon parent" envers lui, s'efforçant de lui rendre sa dignité d'humain en le consolant d'une souffrance excessive et en lui offrant ainsi une nouvelle vision de lui-même, des autres ou de la situation.

Au-delà de la plaisanterie exprimée dans l'humour, sa valeur "grandiose" réside surtout dans l'intention de surmonter l'épreuve à laquelle la personne est confrontée. L'humour peut dédramatiser une situation mais sans la banaliser et tout en permettant de s'en détacher. Sourire ou rire d'une situation, c'est prendre une distance en la transformant en spectacle. Vu avec humour, un problème devient beaucoup moins important et surtout moins menaçant. Cependant, la distance a besoin de déplacement. Il sera plus facile, et plus acceptable, de rire d'un événement qui est éloigné dans le temps ou l'espace.

Ainsi, on pourrait dire que l'humour est une conduite de séparation, de désinvestissement, tandis que l'ironie est plutôt assassine. L'ironie attaque, l'humour combat; l'ironie blesse, l'humour guérit; l'ironie veut dominer, l'humour libère; l'ironie est humiliante, l'humour est humble. Il transforme la tristesse en joie, la désillusion en comique, le désespoir en gaieté. Il désamorce le sérieux.

L'humour est une promesse de lien social, de dialogue. Il a de tout temps constitué un moyen de lutter face à la répression imposée par l'État, la société, la famille, en rétablissant une communication contre l'interdit de dire. Dans sa fonction créatrice, il est une force de survie et donc de vie.

 

catherine podguszer
mai 2006

A lire:

Jean-Pierre Kamieniak, Freud, un enfant de l'humour? Delachaux et Niestlé, Collection Champs psychanalytiques, Paris 2000.

Notes

[1] S. Freud, Essais de psychanalyse, «Le Moi et le Ça», (1920),  Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1981
[2] S. Freud, L’inquiétante étrangeté,  «L’humour», (1927), Folio, Paris, 1985.

 

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