Catherine Podguszer_Être Marchants Non Identifiés


    
psychanalyse In situ


 Ê.M.N.I.

Êtres Marchants Non Identifiés

fluctuat nec mergitur...


catherine podguszer

 (conte science-fiction contemporain)

 

"C'est fluctuat nec mergitur, c'était pas d' la littérature…"
Georges Brassens

 

 

 

Ier épisode : Ils ne s'entendent pas très bien

IIè épisode : Faut pas rêver!

IIIè épisode : Les introuvables

IVè épisode : L'amour c'est...

Vè épisode : Ôte-moi d'un doute

VIè épisode : Ê.M.N.I., l'ami qui vous...

VIIè épisode : Un seul être vous manque, et tout est connecté

 

 

 

 

Ier épisode : Ils ne s'entendent pas très bien

Il existe des êtres humains qui dorment lorsque d'autres sont éveillés. Ils sont les gardiens de notre planète, ils se transmettent des messages, maintenant par l'Internet, cela se nomme des e.mails. Ils prennent contact entre eux au gré du hasard fabriqué de mots et de maux, de désirs aussi, mais ils ignorent lesquels. Ces désirs les dirigent à l'insu de leur plein gré... paraît-il. Ils y dessinent des visages d'hommes ou de femmes, c'est selon. Ce sont les prisonniers, les esclaves, les assujettis... les êtres dits: humains. On en croise partout d'un bout de la planète à l'autre. Ils s'assemblent par ressemblances pour ne pas se sentir trop isolés, pour parler un peu, puisque c'est le propre de l'Homme. Alors ils disent qu'ils communiquent, qu'ils échangent des points de vues, des sensations, des sentiments... Et ils le disent à leurs enfants et à leurs semblables... Mais ils ne s'entendent pas très bien!

Il est dit qu'existent aussi des espèces plus rares, en voie de disparition. Il paraît qu'ils ressemblent à des êtres non réellement identifiés encore. Ce sont les ÊMNI, pas les ennemis. Ils sont effrayants. Ils ont souvent des prénoms ou des noms étranges. Ils disent de drôles de trucs, sous forme de poèmes parfois, ou de contes. Il paraît qu'ils sont fous. On ne les voit que dans les rêves, et les "éveillés" disent que ce ne sont que des histoires que les hommes se racontent pour continuer à vivre, pour que la terre continue de tourner aussi rond que possible. Mais il y a les guerres, les catastrophes naturelles, les morts subites, les maladies....alors on y comprend plus rien. Et c'est tant mieux.

Les plus éveillés, ceux qui ont souvent du mal à dormir décident parfois d'aller vraiment en parler à quelqu'un, à des thérapeutes du psychisme, dans le meilleur des cas. Il est dit que les ÊMNI sont aussi des thérapeutes très très doués et que c'est une des raisons pour laquelle ils survivent encore à ce jour. Certains humains les ont aperçus derrière leurs divans…Ils fantasmaient peut-être.
Allez savoir….

 

IIème épisode : Faut pas rêver!

Aujourd'hui encore, il y a des êtres, dits humains, qui ne rêvent pas. Surtout la nuit. Ils sont trop épuisés par leurs activités. Souvent, pour ne surtout pas rêver ils avalent des cachets, pour le stress. C'est écrit partout. Ils le savent bien. Ils disent qu'il faut toujours aller de l'avant. Et vite. Et beaucoup... Ils sont informés de tout et de riens. Plus de doute, mais c'est bien sûr! Lorsqu'ils rêvent c'est éveillé, mais ils ne le savent pas. Quand ils sont déçus ils tournent la page…
Mais de quel livre ?

Leur Rêve c'est d'être conformes, même si c'est un mot qui commence très mal (dixit un ÊMNI je crois). Et quand ils se mettent à prendre leur désir pour une réalité ils sont remis vite fait au pas. Ils sont licenciés, mais pas comme dans les Fac… Et s'ils insistent il y a des lois, et sans failles. Lorsqu'ils sont enfin bien sous tous rapports et qu'ils ont l'air comme il faut et comme tout le monde, mais en beaucoup mieux encore, ils se mettent alors à parler haut, et très fort. Cela réveille les endormis qui font mine de refuser de comprendre que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Bon pied bon œil ! Ils ont des rendez-vous sur rendez-vous. Ils disent qu'ils sont charrette et qu'ils sont surbookés. Se sont sûrement des mots codés. A la guerre comme à la guerre. Ils n'ont pas l' temps. Et pourtant….

Les plus éveillés se reconnaissent entre eux, surtout par leurs diplômes. Ils ont souvent beaucoup de mal à redescendre des Grandes Écoles des très Hautes Études. On les trouve dans les milieux autorisés. Ils font beaucoup de discours et savent ce qu'ils disent. D'ailleurs c'est prouvé, référencé et labellisé, par d'autres milieux encore plus autorisés.

Quelquefois, ils sont bien obligés de se reposer un peu, et des rêves traversent alors leurs nuits. Des rêves comme ceux dont parlait Freud. Ils l'ont lu. Des rêves qui sont de vrais cauchemars parfois. Ils se mettent alors à se réveiller tout en dormant. Ils veulent bien en parler mais à de vrais professionnels, certifiés, comme eux, car ils ne sont pas dupes. D'ailleurs ils savent, tout comme Lacan qu'il n'y a pas de rapport sexuel 1, ni même de grand Autre indéboulonnable 2, et que signifié et signifiant ce n'est pas la même chose du tout. Et puisque Lacan a relut Freud -et dans le texte de surcroît!- plus de crainte à avoir.

 

IIIème épisode : Les introuvables


 Un jour, vers la fin du XIX ème siècle, juste avant
La troisième mort de Dieu 3, on put enfin lire de nos yeux des témoignages. C'était comme une grille de lectures, à la façon des talmudistes. Il s'agissait de lectures de rêves. Et aussi d'hypothèses. Pas de certitudes. Une vraie bombe explosait qui divisa les humains en deux parties égales. Puis les divisa encore à l'intérieur d'eux-mêmes. En plus...! On comprenait de moins en moins, C'était comme une Inquiétante étrangeté 4 tout en étant familière à la fois. Il s'agissait de rêves où des ÊMNI apparaissaient masqués, comme au bal de Rien qu'un rêve, d'Arthur Schnitzler. Ces textes ne parlaient que de désirs enfouis aux fins fonds des temps les plus archaïques, et du temps présent aussi, et aussi de ce qui pourrait advenir. Tout ça conjugué et concomitant, qui plus est.

D'autres témoignages, diffusés par des internautes sachant-surfer, évoquaient des histoires de survie suite à des maltraitances. Ils laissaient entendre qu'ils avaient survécu sûrement grâce à des ÊMNI, mais ne l'exprimaient qu'en demi teinte. Alors c'était pas clair….Ces internautes étaient peut-être des-êtres dont l'identité avait volé en éclats, comme sous l'effet d'une bombe atomique. Sandor Ferenczi en parlait déjà il y a plus d'un siècle. Ou bien étaient-ce des Zélig à la sauce Woody Allen? Ceux-là ne demandaient pourtant qu'à en parler, mais à qui? Souvent trop aveuglés par ce qui brille le plus, comme aux temps du Veau d'Or, harponnés tels des proies par Le discours sur Le Savoir plutôt que par un savoir sur les discours, ces déshérités de leur histoire furent probablement noyés dans leur image dès leur naissance. Comme Narcisse.
Alors ils sont tombés sur des becs... Dans l'eau?

 

IVème épisode : L'amour c'est donner ce qu'on a pas à quelqu'un qui n'en veut pas…



 Un jour il y eut un homme et une femme et c'est eux qui furent chargés de fonder le genre humain, dit-on. Le  coupable de la rencontre fut nommé : serpent. Peut-être parce qu'il était nu comme un ver ? Ce fut comme la naissance de ce que nous pensons être l'Amour... Celui qui fait courir les hommes et les femmes, mais pas toujours l'un vers l'autre, loin s'en faut. Les plus éveillés ont fait couler beaucoup d'encre à ce propos. Ils sont avertis. Ils ont lu, vu et vécu. Alors ils ne s'y laissent plus prendre, même s'ils font des enfants, puisqu'ils sont à leur image. Tout sages. Ils ne sont pas fous. Pourtant l'envie, la jalousie, la haine de l'autre et de soi…Cela va de soi. Les blessures à jamais sanguinolentes et contaminantes comme les MST…qu'ils font mine de panser (avec je de mot). L'amour c'est donner ce qu'on a pas à quelqu'un qui n'en veut pas… comme disait l'Autre.

Les virus étaient à l'ordre du jour. I love you, sussurait celui-ci, via le Web. La mémoire du futur était bel et bien menacée, mais le bon Docteur Norton veillait lui aussi à ne rien laisser passer, il faut croire! Le même jour exactement on parlait d'un spectaculaire retournement de situation concernant un autre virus, celui du SIDA. Un nouveau vaccin composé de ce virus allait être expérimenté, contre le SIDA lui-même, et contre des maladies génétiques encore inguérissables jusqu'alors. Ainsi va le monde?

Un journal de la gauche paillettes 5, avait aussi identifié I love you, en petite culotte et soutien gorge, l'air bien méchant(e). A l'image, peut-être, de celle qui a mangé la pomme, ou de nos nouvelles dirigeantes? Ou bien était-ce cette stupéfiante Lilith? Les hommes eux, disent-ils encore je t'aime? ... Même pas en anglais. Peut-être en rêve?

Les humains déploient une volonté folle, à banaliser l'Histoire et les histoires, absolument. Ils le savent bien: il faut vivre avec et il faut de tout pour faire un monde. Les hommes et les femmes ne sont-ils pas supposés être égaux?

Vème épisode : Ôte-moi d'un doute



  Quelques endormis, abusés par le décalage du temps, se sont enfin réveillés après en avoir parlé à des éveillés-psy. Alors, une fois bien théorisés et terrorisés, ils "s'autorisent d'eux-mêmes" et sans les quelques autres 6, pourtant indispensables (comme le préconisait pourtant le docteur Lacan) à s'installer. Mais dans quoi? Ils se mettent alors à recevoir, des endormis encore, qu'ils tentent de réveiller à coup de scansions toutes les dix minutes, pour laisser la place aux suivants. Ces éveillés interviennent un peu partout, publient textes sur textes, et plus souvent qu'à leurs tours. Alors on les consulte dans les médias pour un oui ou pour un non. Ils se critiquent aussi beaucoup entre eux -surtout lorsqu'ils produisent- mais seulement dans les couloirs et en catimini. Il y a l' éthique, après tout.

Une fois bel et bien contrôlés, certifiés tout à fait adéquats, ou mieux, ayant "traversé leur fantasme" 7, tout doute leur étant définitivement ôté, ils s'autorisent plus que jamais à cultiver le plus longtemps et le plus silencieusement possible les plaintes de leurs (im)patients. Entre deux, ils distillent au goutte à goutte, le fruit de la quintessence de leurs certitudes et ce, doublé de surinterprétations en veux-tu en voilà… Ainsi la boucle est bouclée de même que tout désir de désaliénation auquel tout un chacun est en droit de s'attendre d'une telle démarche.
Alors, ceux qui y survivent circulent de divans en face-à-face et de tranches en tranches pour tenter de s'y reconnaître, dans ces miroirs... sans teint?
Mon cœur sous un rouleau compresseur!
8 hurlait pourtant un ÊMNI, je crois, bien avant la tempête décapitante et la Marée noire bretonne. A force de "ne pas céder sur son désir" 9, l'éveillé s'endort sous ses lauriers, sans doute.

 

 

VIème épisode : ÊMNI, l'ami qui vous veut du bien?

Il paraît que les ÊMNI, eux, ne nous veulent pas que du bien, car ils nous font réfléchir. Comme les miroirs…? Il est dit que les ÊMNI peuvent modifier ce que certains nomment encore le destin. On peut leur parler comme à l'ami que l'on a toujours souhaité rencontrer sans même avoir osé en rêver. Ils peuvent prendre parfois les traits de ceux qui nous ont été les plus chers ou les plus haïs. Mais pas vraiment, car ils ne s'y croient pas… Alors les schémas de pensées qui nous enfermaient à double tours se dissipent. Comme de mauvais élèves?

Ceux qui ont vu des ÊMNI racontent qu'ils voyagent, même sur place, et que souvent ils reviennent de loin. Mais d'où?…On peux les rencontrer, dit-on, surtout dans les moments où l'on s'y attend le moins et que, parfois, nous les croisons sans les reconnaître, sauf si l'on regarde dans les yeux. Ils paraît qu'ils ne parlent pas mais nous parlent et que ce n'est pas la même chose. Ils n'écoutent pas non plus mais ils entendent au travers de nos bavardages, de nos silences et même de nos boutades. C'est alors que quelque chose nous touche, comme dans une œuvre d'art, et là où s'était le plus verrouillé en nous, le plus enfoui, et depuis très longtemps. C'est à ce moment là où l'on sait qu'on en a rencontré.

L'autre jour un documentaire présentait un anthropologue géographe dans une zone escarpée et impraticable, quelque part vers la Chine du sud, je crois. Quelques habitants de ces régions disaient qu'ils avaient aperçu certaines nuits des êtres bizarres. Et le plus étrange était que les descriptions de chacun concordaient ensemble, mêmes s'il vivaient extrêmement éloignés les uns des autres, sans moyens de communication ni routes. C'étaient peut-être bien des ÊMNI. Quoique...

On parle aussi d'ÊMNI dans certains livres, mais épuisés eux aussi. Ils sont aussi quelquefois cités dans des textes qui circulent sous le manteau, l'hiver. On peut y lire des récits qui laissent entendre qu'à la croisée des chemins, au crépuscule -là où les traits d'un ami peuvent se confondrent avec ceux d'un ennemi- les cauchemars peuvent aussi devenir de véritables rêves.
Au fil des Temps.…


VIIème épisode : Un seul être vous manque, et tout est connecté

Les éveillés étaient reliés entre eux, 35 heures sur 24 par les télécommunications, ils sont maintenant connectés… Plus "un pas sans Bata". Les e. books et les mobiles (du crime ?) ont largement comblé tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à toute absence. Seul le double-appel téléphonique tient encore lieu et place de silence ou de pause. On connaît la musique… Le "For-Da" 10 n’est vraiment plus qu’une inscription d’un autre temps. Quoique avec sa drôle de bobine de fil … on peut se demander.

Il y avait les souvenirs-écrans11, il y a les écrans kinopanoramiques des plus folles attentes hallucinées. Ils l’avaient rêvé, ils sont exaucés… L’attention est au colmatage de brèches à tout prix, les espaces et les lieux se confondent en excuses. Les plannings sont bouclés à double tours ainsi que tout espace et espèce de rêveries rebelles. Le zapping et le clic sont les chefs des pulsions orchestrées. Il y avait Saint-Saëns et la Mort du cygne, mais de quel signe? … et que reste-t-il de nos cinq sens? Le regard, tout comme l'affect sont consignés au rang des objets dits petit tas ... C'est le bouquet, même renversé! Touchés peut-être, mais seulement à la Bataille navale...

Le virtuel ne serait-il que l’à-venir d’une illusion12 de plus? Les Totems et les Tabous de Freud n’y reconnaîtraient plus leurs petits…

 

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catherine podguszer
XXIè siècle

(2001)

...à suivre, sur le Net ou ailleurs ...

 

notes

1 . "Il n'y a pas de rapport sexuel"; in séminaire Encore; éd.Le Seuil; Jacques Lacan
2 . "Il n'y a pas de grand Autre indéboulonnable"; entendu dans un couloir!
3 . La science des rêves; (1900); S. Freud; éd.PUF
4 . L'inquiétante étrangeté; Sigmund Freud; en livre Pôche
5 . "L'analyste ne s'autorise que de lui même et de quelques autres"; Jacques Lacan
6 . journal Libération : le 5.V.2000
7 . fin de la cure analytique pour les élèves lacaniens orthodoxes
8 . Mon coeur sous un rouleau compresseur, Howard Butten en livre Pôche (suite de : A cinq ans je m'ai tué)
9 . "Il ne faut pas céder sur son désir", in Télévision; éd. Seuil; Lacan
10. "For-Da" ou jeu de la bobine (en allemand For: parti! et Da: voilà!). Observation par Freud d'un jeu phonématique consistant à pointer le moment de l'absence de la mère. L'enfant "se dédommageait en mettant lui-même en scène, avec les objets qu'il pouvait saisir, le même "disparition-retour" de sa mère. "Au-delà du principe de plaisir" p. 52 (in Essais de psychanalyse).
11. Souvenir se caractérisant par sa netteté et l’apparente insignifiance de son contenu.
12. L’avenir d’une illusion ; éd. PUF, Sigmund Freud

 

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