L'effacement du père
1
ou les fondements cachés de la violence
saverio tomasella
Des voix s'élèvent contre
les meurtres barbares de simples citoyenn(e)s innocent(e)s 2, accompagnés
d'une nouvelle montée d'antisémitisme 3,
qui ont pour nous des résonances de tristesse et de révolte,
comme le soutient "Amen", le dernier film de Costa
Gravas.
Toutes sortes de "solutions"
sont proposées. Certaines sonnent le malheureux retour
d'idéologies fascistes dont on sait le mal dévastateur
qu'elles ont pu engendrer. La mémoire des peuples serait-elle
si peu fidèle ?
On parle aussi beaucoup de parité: qu'en est-il en réalité ? Nous vivons probablement,
sans le savoir, un règne matriarcal latent, omniprésent,
comme jamais depuis l'Antiquité 4.
Du reste, on sait que le matriarcat est on ne peut plus phallocratique
5. Institutrices, psychologues scolaires, puéricultrices,
éducatrices, et surtout juges familiales, juges pour enfant,
tous les référents de l'enfance sont en
très grande majorité des femmes, parfois s'imposant
telles des mères toutes puissantes qui ne veulent (ne
peuvent ?) laisser aucun espace à des pensées autres
que maternantes, couvantes, enfermantes, normalisatrices et réductrices: empêchant l'enfant ou l'adolescent de prendre son essor.
Le ferment de toute
violence serait caché là,
les anthropologues ne l'ont-ils pas souligné ? Dans
ce repli incestueux de la mère sur l'enfant (6),
reléguant le père-objet aux seules affaires productives
: émission de sperme et autres liquidités
Par exemple, à l'école,
très rares sont les pères divorcés qui ont
droit à obtenir les informations sur l'école ou
sur la scolarité de leurs enfants, sans devoir les quémander
sans cesse 7; les juges n'accordent quasiment jamais la résidence
principale des enfants chez leur père ; les allocations
familiales ne sont versées qu'aux mères ; l'administration
fiscale se complaît dans la non prise en compte des enfants
par le père ; les enquêtes pour enfants abusés
laissent plus la parole à la mère qu'à toute
autre partie, bâillonnant définitivement les enfants
(filles ou garçons) maltraités ou abusés
par leurs mères, que celles-ci soient actives dans l'abus
(ce qui arrive aussi malgré le magistral déni qui
en est fait) ou qu'elles soient complices de leurs "compagnons" pédosexuels ou violents.
Le destin des filles serait-il alors
de se débarrasser au plus vite de leur féminité
naissante pour devenir dès que possible des mères
qui auront, à leur tour, accès au pouvoir, forçant
parfois la procréation à travers mariages précoces
ou calculés, recours acharnés à la médecine,
compagnons évincés dès l'arrêt du
cycle menstruel et la confirmation du test de grossesse 8,
ou divorce rondement mené avec le ferme appui des juges
9 pour écarter vigoureusement le père
dès que le nombre d'enfants souhaité est atteint
?
Le garçon n'aurait-il comme avenir
que celui d'être le géniteur falot et soumis, et
si possible argenté, des nouvelles détentrices
du pouvoir, pour avoir accès au lit d'une femme et y exprimer,
y vivre, sa génitalité? Ne lui restera-t-il que
les prostituées africaines ou russes, les femmes injustement
dites "faciles" parce qu'elles sont restées
femmes et qu'elles ont l'audace de vivre leur désir, ou
le repli sur les mirages d'Internet, de ses ribambelles de sites
pornographiques, pour avoir accès aux plaisirs que son
épouse, sa compagne, ou son ex, lui refusent désormais,
comblée qu'elle est, par des enfants qui sont devenus
autant ses faire-valoir que ses faire-jouir ?
Qui plus est, le garçon devenu
homme, ou apparence d'homme, forcé encore de nos jours,
dès le plus jeune âge à ne pas pleurer, à
ne pas montrer ses émotions, ses fragilités, ses
sentiments, de crainte d'être traité de "tapette"
ou de " pédé ", continuera malgré
tout à défendre sa mère, et surtout l'image
de la mère parfaite et idéale, complètement
désexualisée et désincarnée que représente
(et déifie) la Vierge Marie, "immaculée conception",
autre dogme morbide et pernicieux du catholicisme, dont les ravages
n'ont pas encore été mesurés à leur
juste valeur.
Dans de telles conditions d'existence,
et dans un si fort carcan idéologique majoritairement
inconscient, il n'est donc pas étonnant de voir tenu pour
rien un père qui défend son fils racketté.
La brique 10 écrasante
répond à la parole osée, posée ou
proposée. Il n'y a plus d'espace symbolique pour que
le père, ou ses substituts, puissent dire les lois humaines
fondatrices : interdit de l'inceste et interdit de meurtre. Interdit
de l'abus sur autrui.
Qu'on ne se leurre donc
pas avec tant de complaisance, les droits de l'enfant, malgré
le battage médiatique que l'on en fait, ne sont pas encore
entrés dans les réalités 11.
La "fausse loi" des mères
si facilement débarrassées, par séparation
ou divorce 12
interposés, de leurs encombrants
maris, est celle d'un inceste institué, camouflé
derrière ordre, propreté, joliesses, câlineries
et sourires: en fin de compte, celle de l'effacement sournois
du tiers, celle du meurtre de l'autre, incidemment autorisé
; encouragé
saverio tomasella
avril 2002
notes
1 - On trouvera ici un
plaidoyer circonstancié en faveur de la paternité.
Certainement pas une défense des pères contres
les mères, encore moins des hommes contre les femmes.
Attentif dans tous nos écrits à ne pas être
pris dans les consensus invisibles de la " domination masculine
" ou des dérives misogynes mine de rien, nous continuons
ici à dénoncer des états de faits et des
systèmes dommageables, non seulement pour la vie en société,
mais surtout pour la liberté de pensée et tout
particulièrement pour les chances laissées à
l'enfant de grandir humainement
2 - La presse française
a souligné que Richard Durn, le tueur forcené de
Nanterre, était un " enfant de père inconnu
" : un fils sans père, reclus chez sa mère
3 - L'antisémitisme
institué de l'Eglise catholique romaine, par ses dogmes
mêmes, est mis en évidence de façon remarquable
et clairvoyante, dans leurs derniers ouvrages, par Armand Abécassis
(" Jésus et Judas : une liaison dangereuse ")
et Jean Cardonnel (" Judas l'innocent ").
4 - Nous parlons ici uniquement de l'Europe
occidentale. Il est vrai que les modèles patriarcaux les
plus cruels sévissent encore dans grand nombre de régions
du globe, notamment en Afghanistan par exemple, et dans les pays
arabes, de même que dans l'Amérique de G. Bush,
encore que ce cas de figure soit équivoque, comme pour
l'Europe, dans la mesure où le système politique
et financier nord américain est très patriarcal,
là où le système familial et éducatif
serait plutôt matriarcal.
Catherine Podguszer voit dans ce renversement du rapport de force
au profit du matriarcat en France un effet possible de certaines
dérives des combats féministes, certes très
majoritairement légitimes, mais dont l'ensemble des conséquences
ne pouvait être prévu.
Quoi qu'il en soit, on peut déjà avancer que la
position symbolique, dite paternelle, du fait que le père,
lorsqu'il remplit son rôle civilisateur (de garant contre
la barbarie), ouvre la diade mère-enfant à l'altérité
et au monde, cette position symbolique paternelle est opposée
à toutes les formes de despotismes phalliques, qu'ils
soient matriarcaux, patriarcaux, ou machistes.
5 - " Si l'Occident est gouverné
par un matriarcat actif, il n'est pas moins, comme le patriarcat,
pleinement phallique. Comment soutenir dans cette économie
une position de femme ? Comment la fille peut-elle y accéder
si la mère l'évite ? Comment le mot 'encore' peut-il
être le mot d'ordre d'un désir pas-tout phallique
? " Colloque AFI, Milan, " La relazione d'oggetto madre-figlia
", 9 mars 2002
6
- Niant la position symbolique du père : cf. S. Freud,
"dans l'analyse, on rencontrera toujours le père
comme porteur de l'interdit", Lettre à K. Abraham
du 24 février 1924, in Correspondance, Gallimard, 1969.
Cf. aussi Anne Dufourmantelle, " La sauvagerie maternelle
", Calman-Lévy, 2001.
7
- Marianne Olivier, directrice d'école primaire engagée
et attentive à l'enfant, nous laisse entendre que ces
manquements ne sont, effectivement, pas le fait de toutes les
écoles
8
- Voir le livre très touchant de Jean-Marc Wencker, "
Père jetable ", L'Harmattan, 2002, qui illustre magistralement
ce propos. Cf. également Aldo Naouri, " Une place
pour le père ", Seuil, 1985.
9
- Ce sont les réformes des lois et des règlements
qui sont les plus urgentes, avant d'espérer un changement
des mentalités et des habitus sociaux, ce sur quoi Daniel
Daydou insiste particulièrement. L'extension du congé
paternité à la naissance d'un enfant va déjà
(timidement) dans ce sens.
10
- L'injonction " capitaliste " à avoir du "
blé " pour être respecté, ou admiré,
ou pour pouvoir " draguer les meufs " et leur en imposer,
leur montrer comme on est puissant, ne pousse-t-elle pas insidieusement
les adolescents, à commencer par les plus démunis,
au racket ?
11-
Cf. Dominique Youf, "Penser les droits de l'enfant",
PUF, 2002, et particulièrement le chapitre " La responsabilité
du fait de la conception ". Voir aussi Nicolas Abraham :
" On refoule l'enfant comme on respire. Nous commençons
à peine, grâce à Freud, de nous éveiller
à cette idée. Là réside le véritable
malaise dans la civilisation. ", in " L'écorce
et le noyau ", Flammarion, 1978.
12 - Karin Tristram s'associe à nous
pour affirmer qu'il ne s'agit en aucun cas ici de nier les violences
de tous ordres faites à certaines femmes par des hommes
pervers, brutaux et sans (re)pères, ni de remettre en
cause le divorce et la possibilité légale d'entériner
la fin d'une relation entre deux adultes. Il s'agit simplement
d'interroger, voire de refuser, l'arrogant et impitoyable état
de fait qui assure systématiquement à la mère
séparée la "garde" de ses enfants,
comme un droit mortifère de propriété -
de servage - sur eux, en dehors de tout espace réel, ou
symbolique, laissé au père et à sa parole
Qu'on ne s'étonne donc pas tant de l'abandon par les
pères de leur cause paternelle, du soutien financier de
leurs enfants, de leur présence auprès d'eux, après
qu'ils se soient vus bafoués dans leur droit élémentaire
d'être père, à parité avec la mère
!