psychanalyse In situ


Lettres à Nathanaël

Une invitation à la psychanalyse

 

(Cette lettre est extraite d'un ouvrage de Liliane Fainsilber qui vient de paraître chez L'Harmattan en novembre 2005)

 

Lettre 21 – Comment les énonciations des analysants redonnent vie aux énoncés de la théorie analytique

février 2003

Cher Nathanaël, comme tu as pu le constater je t’entraîne maintenant sur des chemins plus escarpés mais tu verras qu’à la mesure de tes efforts, nous pourrons peut-être contempler ensemble les magnifiques paysages de la psychanalyse que Freud et Lacan, à sa suite, nous ont fait découvrir. Aujourd’hui je te propose un petit détour par la linguistique en lui empruntant deux de ses termes, l’énoncé et l’énonciation. Ils permettent de rendre compte à la fois du travail de l’analysant, au cours de l’analyse, et également de la façon dont le psychanalyste peut y jouer son rôle, par son interprétation. L’Encyclopedia Universalis en donne cette définition : «L’énoncé c’est le texte. L’énonciation c’est l’engendrement du texte où se trahit le sujet»

Il ne faut cependant pas, Nathanaël, se fier à cette approche si simple. Celui qui se penche sur cette question s’aperçoit vite qu’un chat n’y retrouverait pas ses petits car les petits des linguistes ne sont pas ceux du psychanalyste. L’énonciation est en effet l’enfant illégitime des linguistes et des logiciens. Ils en ont un peu honte car elle altère et trouble la pureté de leurs énoncés.

Pour l’analyste, l’énonciation est une enfant de l’amour. Il la recueille précieusement dans les moindres interstices du discours de l’analysant. Il l’accueille à bras ouverts.

Ces liens mystérieux de l’énoncé et de l’énonciation, à l’origine, domaine du linguiste, révèlent en effet pour le psychanalyste les points d’émergence de la vérité. Ils permettent de saisir au plus juste les mécanismes signifiants de la formation des symptômes, lapsus, mots d’esprit, actes manqués, poèmes et œuvres d’art, formations langagières où se révèle le désir du sujet.

Un pavé dans la mare du signifié

Une énonciation perturbe toujours le cours tranquille des énoncés. Elle est irruption de la vérité et remise en cause des savoirs les plus solidement établis, elle arrive à l’improviste et fait toujours l’effet d’un vrai pavé dans la mare. Plouf ! Ca dérange mais ça fait aussi du neuf.

Je ne résiste pas au plaisir, pour l’illustrer, de te raconter deux petites histoires de pavés dans la mare. La première est empruntée à Freud. Un orateur au sein d’une assemblée comptait déclarer la séance ouverte mais au lieu de cela il dit: «Je déclare la séance fermée!»

La seconde histoire est arrivée à l’un de mes proches. Il présidait lui aussi une assemblée, une assemblée de co-propriétaires, et seuls, ceux qui en ont fait l’expérience, savent à quel point ces sortes de réunions peuvent être ennuyeuses. Donc au cours de cette séance il s’est brusquement entendu dire: «Oui, pour cet escalier, il faudra au moins trois couilles de peinture ». Sans nul doute, celles qu’on était entrain de lui casser.

De ces deux exemples, l’énoncé et l’énonciation peuvent être dégagés. Les énoncés « je déclare la séance ouverte», «Il faudra au moins trois couches de peinture». L’énonciation c’est ce « fermé » qui vient énoncer, proclamer le désir du sujet, c’est aussi le tout petit « i » qui vient malicieusement se glisser entre le « O » et le « U » de la couche.

Les effets de cette énonciation sont immédiats. À bon entendeur, salut!

Honneur à l’énonciation !

Par rapport à ces liens de l’énoncé et de l’énonciation, je me pose une série de questions et tout d’abord celle-ci:

Est-ce qu’une énonciation perd fatalement sa dimension de nouveauté pour trouver place dans les énoncés qui constituent le corpus de savoir de la théorie analytique?

Comment les énonciations les plus vives, les plus tranchantes, de Freud ou de Lacan, arrivent-elles à devenir de lamentables énoncés sans vie - du type « cet Autre qui n’existe pas » ou « il n’y a pas de rapport sexuel » ou encore que sais-je, «l’inconscient est le discours de l’Autre» rabâchés à l’infini ?

Peut-être parce que toute énonciation ne peut être que ponctuelle et fugitive et qu’elle se fond immédiatement dans le fil du discours. Elle se banalise, comme si elle n’avait pas intérêt à se faire trop remarquer en tant que formation de l’inconscient !

L’art de redonner vie aux énoncés
les plus usés, les plus éculés !

Il est pourtant souhaitable que ces énoncés reprennent vie.

Quelle méthode, quel moyen utiliser?

Ce sont donc avant tout les énonciations des analysants qui remettent en cause le corpus théorique, l’ensemble des énoncés de la théorie analytique, cette masse de données, cette accumulation de savoir dont témoigne la littérature analytique. Par l’énonciation de ses symptômes, l’analysant remet sans cesse en cause le savoir constitué, si péniblement acquis de la psychanalyse.

Mais cette remise en cause de la théorie analytique doit être effectuée aussi par le psychanalyste. Pour cela il ne peut le faire qu’en tant qu’analysant, à l’écoute de son propre savoir inconscient.

Réinventer la psychanalyse?

Pour quelles raisons en effet l’analysant - analyste aurait-il besoin de réinventer la théorie analytique alors qu’il a à sa disposition cette énorme masse de données que constitue la littérature analytique ?

C’est là que l’énonciation joue son rôle décisif:

Les énoncés de la théorie analytique sont nécessaires mais pourtant insuffisants. Il faut qu’ils provoquent à chaque fois une nouvelle énonciation. Le « Ils disent que... » de ces énoncés devient un « Je dis que... »

Comment cela est-il possible?

La théorie surgit, le rappelle Freud, comme un invité impromptu, celui qu’on n’attendait pas. Elle semble donc surgir dans les associations libres du psychanalyste et en écho de ce que lui raconte l’analysant.

C’est donc la clinique analytique qui est le point de départ d’une nouvelle énonciation quand elle est soudain mise en connexion avec un élément déjà connu du corpus théorique de la psychanalyse.

Cet énoncé ainsi évoqué peut alors retrouver sa valeur d’énonciation, reprendre vie, à condition que par le jeu du transfert, il provoque une autre énonciation, celle du sujet.

« À mon tour, je dis que … »

C’est ainsi que tout analyste, en position d’analysant, réinvente la psychanalyse.

Il peut effectivement dire à son tour : «je dis que...», ne serait-ce qu’en bafouillant lamentablement. Cette énonciation n’est encore qu’en attente, en attente d’interprétation.

Elle se présente, tout d’abord, au mieux, comme une formulation énigmatique, au pire, comme un infâme charabia, non seulement pour les autres, mais pour le sujet lui-même, un peu comme le contenu manifeste d’un rêve qui est à déchiffrer.

Un deuxième temps est donc nécessaire, celui de son interprétation : en l’énonçant devant un autre analyste, au cours d’un travail de cartel, cette énonciation peut être interprétée.

Si tu l’ignores, Nathanaël, je précise que le cartel est un tout petit groupe de travail de quatre ou cinq personnes qui lisent ensemble les textes de la théorie analytique et soutiennent en présence des autres, leur propre énonciation. Le cartel, est avec l’analyse et le contrôle, un lieu privilégié où se réinvente pour chacun la psychanalyse.

C’est ainsi que les énonciations des analysants, les propres énonciations de l’analyste, par ses élaborations théoriques, mais aussi celles des poètes, des romanciers, des philosophes ou encore celles des linguistes et des logiciens redonnent vie à la théorie analytique qui s’en trouve renouvelée.

Ces nouvelles énonciations, énonciations singulières de chaque analyste, permettent à cette théorie de reprendre des forces et d’échapper au dogmatisme qui constitue, pour elle, le plus grand danger.

Grâce à elles, l’analyste resté analysant, assure modestement la survie de la psychanalyse, par sa réinvention. Modestement il prend place, en y inscrivant son nom, dans l’histoire du mouvement analytique.


Liliane Fainsilber
lire la présentation et l'avant-propos sur le site:
 
Le goût de la psychanalyse

 

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