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Manque ou carence?

catherine podguszer

 

"La capacité de capter l’affect d’un autre précède l’acquisition du langage, et l’enfant ne peut que réagir au vécu affectif de sa mère, tandis que la capacité de la mère de capter les émois de son enfant et d’y répondre dépend de son désir de donner un sens à ses cris et à ses gestes.
Joyce MacDougall, Plaidoyer pour une certaine anormalité
 

Le petit humain naît immature. Il a un besoin d’être porté, soutenu, bien au-delà de sa vie intra-utérine. Il est insuffisant pour un bébé d'être bien nourri et propre, il a un besoin vital de présence maternelle, accueillant avec stabilité et réceptivité, autant ses cris et ses pleurs que ses moments d’apaisement.

Il y a un état de carence lorsque l’adaptation de la mère aux besoins pulsionnels et vitaux n’est pas "suffisamment bonne" (D.H. Winnicott). Cette défaillance de la mère ou de ses substituts, est vécue par le tout-petit comme un empiètement, un envahissement, qui va à l’encontre de son évolution et de son autonomie future.

Dans ces temps précoces où la mère et le nourrisson font corps, l’adaptation maternelle est la situation de réception des pulsions de son bébé, c'est à dire de son agressivité première naturelle. La mère, nous dit Winnicott, doit être "vivante et disponible". A la fois comme celle qui a survécu aux attaques de destruction et comme "mère-environnement" bien présente pour recevoir les gestes spontanés de son bébé et en être heureuse. Le nourrisson offre autant à sa mère le "bon" tout comme le "mauvais". Sans ce premier "don", précise Winnicott, un enfant ne saura en contrepartie ce qu’est vraiment recevoir et restera emprisonné par l’incorporation de cette carence archaïque sans pouvoir en exprimer, reconnaitre, le ressentiment et ce, jusqu'à l'âge adulte.

Dans un milieu familial déficient, cet enfant sera pris pour un objet utilitaire ou de remplacement, voire pour un "prolongement narcissique" de la mère, et non comme une personne singulière à part entière... Il subira alors une carence affective. Celle-ci peut se manifester par un sentiment d’abandon qui est pour lui équivalant à la mort. S’il survit à cet isolement, il en résultera d’importantes répercussions lors son développement ultérieur (mélancolie, dépression…). Il aura alors recourt à un mécanisme de défense en s'éloignant de ses ressentis qui demeureront enfouis et comme ne faisant pas parti de lui. Il deviendra un étranger à lui-même.

Un parent qui abuse de son enfant par un excès d’autorité ou en répondant à sa demande légitime de tendresse par une excitation sexuelle, mise en acte ou non, fera alors de cet enfant l’objet de sa jouissance. L’enfant sera amené à devenir un automate soumis et prisonnier de ses ressentis qui pourront se retourner contre lui dans une haine de soi.

Il y a prolongement narcissique lorsque les parents font des projets pour ce futur enfant -quelquefois même avant sa conception- construits sur leurs propres souhaits non réalisés, conscients ou non, ou irréalisables pour eux-mêmes. Comme si cet enfant avait été conçu dans le seul objectif de porter la lourde tâche, bien paradoxale, d’incarner leurs échecs tout en étant supposé les "réparer".

Un bébé devient un objet de remplacement dans le cas d’un deuil non réalisé par son entourage, avant ou après sa naissance, ou parfois des deuils subis par les générations précédentes. Dans des situations d’avortements, spontanés ou non, d’enfants morts-nés, de la mort d’un parent entourant le moment de sa naissance… conduiront cet enfant à vivre une dépression qui ne sera pas vraiment la sienne sans pourvoir réellement le reconnaître et encore moins l’accepter et par conséquent à s’en défaire. Une carence n'est identique au manque, nécessaire à l'élan ou au désir. Elle est métaphoriquement un accro dans le tissu relationnel.

Sylvie M., la quarantaine: Elle aimerait bien "trouver le goût de vivre. La croyance en sa "lucidité" la conduit invariablement à des jugements impitoyables sur elle-même et sur les autres. Elle se demande en permanence ce qui peut bien "animer les gens" autour d’elle…

Un enfant ayant subit des carences affectives peut, en arrivant à l’âge adulte, en garder des traces imprécises qui se manifestent le plus souvent par des tendances suicidaires. Pour survivre, son seul recours sera de tenter "d’oublier", de nier, de se défendre dans le meilleur des cas, ou de sombrer dans la psychose pour certains. Les effets de cet isolement affectif précoce se traduira pour d'autres par une appréhension déshumanisée, cynique et désabusée de lui-même des autres et du monde.

 

 

catherine podguszer
octobre 2007

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Alice Miller, C'est pour ton bien,
D.W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse
M. Balint, Le défaut fondamental
S. Ferenczi, Œuvres complètes