psychanalyse In situ
Sublimation, idéalisation et post modernité
Teresa Pinheiro (1)
Parler de la sublimation constitue, peut
être, l'une des tâches les plus difficiles en Psychanalyse.
Curieuse situation : si, d'une part, il manque au concept une
approche métapsychologique, d'autre part, tous semblent
savoir de quoi il s'agit. Cela veut dire, généralement,
que l'on a des fortes chances de se tromper sur le plan théorique.
Chez Freud, la notion de sublimation
a subi des modifications tout au long de son uvre. Et au
fur et à mesure que ces notions se succèdent, on
a l'impression qu'il s'agit d'un concept qui recèle tout
ou presque tout de l'ordre du psychique : tout entretient un
rapport avec la sublimation. Et s'il comprend tout, il finit
pour n'être rien. Cependant, nous ne pouvons pas nous passer
de cette notion, encore moins Freud, pour qui la sublimation
constitue, d'une certaine manière, la seule issue pour
l'humanité. Aussi ce que l'on vise à la fin d'une
analyse serait de l'ordre de la sublimation.
Mon intention n'est pas ici de traiter
cette notion de façon exhaustive. Je soulèverai
d'abord les problèmes qui me paraissent les plus délicats
pour, ensuite, définir l'approche qui sera privilégiée,
étant donné la pluralité d'aspects que recouvre
la notion de sublimation. Et seulement après, je discuterai
la question de l'idéalisation et de la sublimation dans
le monde actuel.
Quelques questions
métapsychologiques
En s'agissant de sublimation, j'utiliserai le terme de notion
plutôt que celui de concept, étant donné
l'absence d'une définition métapsychologique précise
dans l'uvre de Freud où, selon Birman (2), la sublimation
n'a qu'un " statut de passage ". Elle n'y joue qu'un
rôle d'argument pour la démonstration d'un autre
concept. En effet, Freud n'a jamais construit ni le concept ni
une théorie de la sublimation
.
En 1914, Freud en donne la définition suivante : "
La sublimation est un processus qui concerne la libido d'objet
et consiste en ce que la pulsion se dirige sur un autre but,
éloigné de la satisfaction sexuelle ; L'accent
est mis ici sur la déviation qui éloigne du sexuel
"(3). Cette affirmation pose un certain nombre de problèmes.
Dans la mesure où la sublimation consiste à s'éloigner
de la satisfaction sexuelle, cela veut dire, au moins à
ce moment, que pour Freud la sexualité concerne une matérialité
corporelle, un plaisir du corps observable en réalité
dans le champs de la surface corporelle.
Sans vouloir m'écarter de mon
propos, certains commentaires se font ici nécessaires.
Sans aucun doute, pendant longtemps, la sexualité pour
Freud reste liée à la génitalité
proprement dite. Dans un deuxième temps, on peut observer
qu'elle s'élargit et s'étend à toute la
surface corporelle, de telle manière que l'on peut même
supposer que l'idée de sexualité vient offrir à
Freud la passerelle si recherchée, capable d'établir
une relation entre le somatique et le psychique. Dans ce sens,
la sexualité ne sera pas dans la psychanalyse, pour un
bon moment, un concept tellement abstrait. Bien au contraire,
il sera l'articulation nécessaire d'une double face :
d'un côté le corps, surface matérielle, ordination
somatique etc. et, de l'autre, l'esprit, l'appareil de représentations.(4)
La sublimation n'étant pas un
plaisir ressenti dans cette surface corporelle, concernerait
exclusivement l'appareil de représentations. Cependant,
Freud affirme qu'elle concerne la pulsion et à certaines
occasions il utilisera même l'expression paradoxale de
pulsion désexualisée. Or, qu'est-ce que pourrait être
exactement une pulsion sexuelle désexualisée ? Ce rapprochement
semble toujours être compliqué dans la métapsychologie
de la sublimation.
En effet, même si en 1930 l'idée
de sexualité avait déjà le degré
d'abstraction que l'on connaît, on y trouve l'observation
suivante : " Pour l'instant, bornons-nous à dire
d'une manière imagée qu'elles ( les sublimations
) nous paraissent " plus délicates et plus élevées".
Cependant, en regard de celle qu'assure l'assouvissement des
désirs pulsionnels grossiers et primaires, leurs intensité
est affaiblie ; elles ne bouleversent pas notre organisme physique
". (5) Du fait de se trouver loin du champs corporel, la
sublimation sera toujours plus faible, moins intense. Il est
curieux d'observer comment en 1930, quand Freud semble avoir
déjà donné à la sexualité
toute l'abstraction possible, celle-ci apparaît encore
si liée à la matérialité corporelle.
Comme si pour Freud il avait été toujours clair
que la sexualité concerne le corps. Les autres plaisirs,
plus abstraits, seraient le fruit d'une " sexualité désexualisée ". Ainsi seraient constitués
les plaisirs du narcissisme et de la sublimation.
Comme on peut constater, la sublimation
revêt plusieurs colorations dans l'uvre de Freud.
Et s'il l'avait prévue pour constituer l'un des chapitres
de la METAPSYCHOLOGIE, jamais publié, c'est peut-être
en raison des énormes difficultés auxquelles il
s'est trouvé confronté à l'époque
pour la construction du concept.
Mais les questions métapsychologiques
de la sublimation ne s'arrêtent pas là. La sublimation
est l'une des destinations possibles des pulsions partielles,
lesquelles peuvent également prendre la direction soit
de la perversion, soit du refoulement, dans la neurose. En effet,
pour Baas (6), la logique de la sublimation apparaît comme
une espèce de court-circuit du refoulement et donc du
réseau associatif et symbolique qui constitue la médiation
habituelle pour la décharge pulsionnelle. C'est ainsi,
selon le même auteur, que le concept analytique de sublimation
est une métaphore rigoureuse du processus chimique de
la sublimation qui consiste dans le passage direct à l'état
gazeux sautant l'étape liquide. Dans la notion psychanalytique,
il s'agit de designer le mouvement de la pulsion qui saute l'étape
intermédiaire du refoulement pour s'élever vers
un objectif " supérieur ", en direction d'une
réalisation plus " élevée ", comme
dit Freud.
Dans un autre passage du " Malaise
dans la civilisation ", il affirme : " La sublimation
des instincts constitue l'un des traits les plus saillants du
développement culturel ; c'est elle qui permet les activités
psychiques élevées, scientifiques, artistiques
ou idéologiques, de jouer un rôle si important dans
la vie des êtres civilisés ". (7)
C'est à partir de cette définition
généralisée de sublimation que je voudrais
faire ici une parenthèse.
Indépendamment des problèmes
relevant de l'approche méthapsychologique, cette définition
qui consiste à considérer la sublimation comme
étant la capacité du sujet à investir dans
des activités considérées par Freud comme
supérieures : artistiques, intellectuelles, scientifiques
ou idéologiques, semble consensuelle parmi les experts.
Il s'agit d'un élément fondamental de la civilisation
du moment qu'elle crée et resserre les liens sociaux et
investit des énergies sans quoi la vie en société
ne serait pas viable.
Dans " Malaise dans la civilisation
", Freud nous présente l'homme comme un être
prématuré et désemparé, raison pour
laquelle il devient grégaire. Il possède, cependant,
un équipement psychique, pulsionnel, incompatible avec
la vie en société. Pulsion de mort et principe
du plaisir, ainsi que l'égoïsme propre au narcissisme,
seraient des éléments fatales au sujet lui-même
lequel, sans quelques dispositifs comme le refoulement et la
sublimation, ne serait pas capable de survivre et encore moins
d'assurer une vie en société.
C'est à partir de cette affirmation,
de la constatation des exigences immédiates du principe
du plaisir et de l'agressivité comme l'envers du narcissisme
( exigences constitutives de l'appareil psychique conçu
par la psychanalyse ), que Freud envisage la sublimation comme
la seule sortie pour l'humanité, et pressent que sans
elle la barbarie s'installerait.
L'idéalisation
La notion de sublimation sera ici discutée
en même temps que celle d'idéalisation.
Comme nous avons vu dans " Pour
introduire le narcissisme ", lorsqu'il définit les
instances idéales, Freud propose une distinction entre
sublimation et idéalisation. Il remarque alors, que la
sublimation concerne la pulsion et l'idéalisation l'objet,
raison pour laquelle les deux concepts doivent être considérés
séparément .
" La formation de l'idéal
du moi est fréquemment confondue avec la sublimation des
pulsions, au détriment d'une claire compréhension.
Tel qui a échangé son narcissisme contre la vénération
d'un idéal du moi élevé, n'a pas forcément
réussi pour autant à sublimer ses pulsions libidinales.
L'idéal du moi requiert, il est vrai, cette sublimation
mais il ne peut l'obtenir de force ; la sublimation demeure un
processus particulier, l'idéal peut l'inciter à
s'amorcer mais son accomplissement reste complètement
indépendante d'une telle incitation ". (8)
Dans ce texte, Freud nous montre combien
la question des idéaux nous oblige à penser à
fois la sublimation et l'idéalisation. Mais, il rappelle
également que la distinction entre les deux termes est
fondamentale. La sublimation, nous dit-il, concerne la pulsion
mais une pulsion qui s'est déviée de son objectif,
ou mieux, une pulsion inhibée quant à son objectif,
dessexualisée.
L'idéalisation, à son tour,
concerne l'objet et partant se réfère directement
à la sexualité. Et si l'idéal du moi présuppose
le mécanisme de l'idéalisation, la même chose
ne peut pas être affirmée concernant la sublimation.
Les mécanismes sont indépendants, affirme Freud,
et ils ne sont pas nécessairement accouplés.
Dans le paragraphe suivant, Freud continue
en affirmant que l'objet de la passion est idéalisé
dans la mesure où il sera surestimé dans ses attributs.
L'exemple de l'idéalisation dans ce cas retombe sur l'objet
de la passion. Par contre, dans " La psychologie desfoules
et analyse du moi", l'exemple est fourni par le leader,
l'hypnotiseur. Dans ce texte, Freud affirme qu'entre être
amoureux et l'hypnose il n'y a qu'un petit pas à faire.
J'aimerais parler ici de l'idéalisation
d'objets qui constitueront des pièces fondamentales des
instances idéales proposées par Freud.
Si ces instances ont pour fonction, entre
autres, de mesurer le moi du présent avec ceux du passé
et du futur, cette fonction pointerait, d'une part, vers le passé
de bonheur perdu et, d'autre part, vers un futur de bonheur à
atteindre.
Si nous prenons uniquement l'idéal
du moi, à savoir la dimension de futur de ces instances,
nous constaterons dans l'uvre de Freud que l'idéal
du moi contient tous les corollaires des modèles de choix
objectal, tel que présenté dans l'" Introduction
au narcissisme ". Il s'agit tant du modèle narcissique
- ce que j'ai été (le moi idéal), ce que
j'aimerais être (l'idéal du moi) - que du modèle
par appui ou anaclitique - celle qui m'a nourri ( figures parentales)
et celui qui m'a protégé (figures parentales).
Or, d'après Freud, ce que j'ai
été, le moi idéal est la projection du narcissisme
des parents sur Sa Majesté le bébé. Il contient
donc également les figures parentales. Ce que j'aimerais
être se retrouve aussi dans la formule paradoxale de Freud
dans " Le moi et le ça " : " Le sur-moi
n'est pas simplement un résidu des premiers choix objectaux
du ça, mais il a aussi la signification d'une formation
réactionnelle énergique contre eux. Sa relation
au moi ne s'épuise pas dans le précepte : tu dois
être ainsi (comme le père), elle comprend aussi
l'interdiction : tu n'as pas le droit d'être ainsi (comme
le père) ". (9)
La construction des instances idéales
sera toujours nourrie des modèles de la préhistoire
du sujet. Seront des modèles idéaux d'un enfant
les parents et les adultes qui s'en ont occupés. Mais
ces modèles seront métabolisés dans le bouillon
fantasmatique de chacun, ayant sans doute un caractère
d'image, ainsi qu'une consistance attribuée, soit elle
vraie ou fausse.
Dans l'idéalisation, nous trouvons
dans l'objet idéalisé des attributs qui sont le
résultat d'une fantaisie, laquelle, par son mystère
et le jeu de l'occultation/révélation d'une image,
est capable de lui donner ou pas une consistance. Je considère
ici consistance ou son absence, la différence qui existe
entre une image purement visuelle figée, et celle avec
la consistance d'attributs ce qui présuppose une subjectivité,
des valeurs intellectuelles et éthiques qui échappent
à la rigidité d'une simple image.
Quand une image ne possède pas
de consistance, l'idéalisation apparaît comme quelque
chose de figé. Voyons, par exemple, la relation entre
Freud et Fliess. Freud confère à celui-ci une consistance
théorique, un savoir, une valeur intellectuelle qu'il
est loin d'en avoir. Freud a projecté en Fliess cette
image, ce que veut dire que ces valeurs sont en réalité
celles de Freud lui-même, des valeurs idéales issues
des modèles idéaux de sa pré histoire. Ceux-ci,
outre les qualités d'image, pointaient vers une consistance
qui serait de l'ordre de la sublimation.
Ce qui en ressort, c'est que l'idéalisation
peut pointer soit vers une simple image, soit vers une image
à laquelle on attribue de la consistance. Il semble que
c'est justement cette distinction que Freud a proposé
entre idéalisation et sublimation lorsqu'il affirme que
l'idéalisation peut contenir ou pas une sublimation.
Nous pouvons donc dire que les instances
idéales peuvent ou pas contenir ou pointer vers la sublimation.
Il est bon d'ajouter que le socle de
sublimation des idéaux va dépendre du mode fantasmatique
qui sera derrière cette opération. Le modèle
fantasmatique, artisan des idéaux, sert de clivage. Si
nous sommes devant un modèle fantasmatique tissé
sur un métier de l'hystérie, nous aurons un mode
fantasmatique qui pointe vers le mouvement, le mystère
des singularités, pouvant avoir ainsi comme support la
sublimation.
Cependant, si le modèle fantasmatique
pointe vers une image figée, qui ne laisse pressentir
aucun mouvement, où rien ne l'anticipe ni rien ne laisse
supposer une conséquence, alors l'idéalisation
semble concerner uniquement une simple image : image figée,
anonyme, sans consistance subjective. Nous sommes là devant
le modèle de la mélancolie, qui prend le moi idéal,
l'image arrêtée de Sa Majesté le bébé,
et la reproduit dans l'idéal du moi. (10)
Ce n'est qu'ainsi que l'on peut comprendre,
par exemple, la recherche incessante d'un modèle corporel
chez certaines personnes. Considérons, par exemple, le
cas des travestis ou de femmes qui, très jeunes, subissent
un grand nombre de chirurgies estéthiques dans le but
de se donner un corps idéal. Ces personnes sont capables
de supporter les pires souffrances physiques pour atteindre un
modèle corporel, une image corporelle qui fonctionne comme
un idéal qui ne suppose nécessairement aucune consistance.
L'image semble pouvoir tout dire : elle est par elle-même
une totalité, un extase.
Actuellement, grâce aux avancées
technologiques, la vitesse des informations et des déplacements
s'est accélérée. Des services nous sont
aussi rendus dans des temps record. L'idée selon laquelle
le futur se construit petit à petit pour que nous puissions,
au bout d'un long parcours, profiter de ce nous avons bâti,
est devenue presque obsolète. Aujourd'hui on construit
pour jouir le lendemain même, dans une expectative de fortes
jouissances. Le temps est doté d'un court horizon.
Prenant pour exemple les travestis, ainsi
qu'un certain type de chirurgie plastique, tels que ci-dessus
mentionnés, je passe à la réflexion sur
la sublimation dans le monde d'aujourd'hui.
La sublimation dans
la post modernité
Dans le monde post moderne la question
des idéaux semble toujours présente.
La fin du XIXème siècle
et le début du XXème, qu'on vécu les hystériques
de Freud, était un monde de références extérieures,
stables qui semblaient éternelles. Les femmes d'alors
disposaient de références claires par rapport à
ce que voulait dire être une bonne épouse, une bonne
fille, une bonne mère etc. Les hommes, à leur tour,
disposaient également des repères relatifs à
ce que devait être le bon père, le bon fils, le
bon mari. Les institutions, l'Etat et la famille se chargeaient
de fournir la liste des croyances où tous pouvaient puiser.
Ceci n'allait pas sans problèmes
: les hystériques de Freud sont là pour prouver
le contraire. Mais ces références n'avaient pas
besoin d'être construites au jour le jour comme aujourd'hui.
L'arrivée de la pilule a fourni du gaz au mouvement féministe,
permettant une vraie révolution du référentiel
extérieur qui passait pour acquis au début du siècle.
Le mouvement féministe ayant déconstruit ce répertoire
de croyances relatif aussi bien aux femmes qu'aux hommes, en
même temps que l'arrivée de la pilule, opère
une inversion dans la stabilité de ces références
qui d'externes passent à être purement internes,
n'étant pas nécessairement stables.
Avec la pilule, la sexualité de
la femme cesse d'avoir une fonction purement reproductive, pour
atteindre le statut de plaisir. Et par là se trouve cassée
l'image de la femme née pour être mère, dont
le rang le plus noble à occuper dans la société
était exactement celui d'une bonne mère et d'une
bonne épouse : celle qui veille sur le mari comme s'il
était son propre fils.
La transformation du rôle tant
de l'homme que de la femme dans le XXème siècle
force la création d'une nouvelle image des deux dans la
société.
A partir du féminisme, s'est construit
un modèle de femme moderne indépendante, qui travaille
et qui a droit à la sexualité en dehors des fonctions
de reproduction. Le modèle d'homme moderne est, par contre,
bien plus fragile, construit et manipulé par le mouvement
féministe. L'homme est resté prisonnier du langage
machiste n'ayant pas de modèle propre. En conséquence,
les subjectivités modernes doivent construire en permanence
leurs références internes, leurs croyances, leurs
modèles, ainsi que leurs images pourvues de consistance
ou pas. Cela ne veut pas dire qu'au début du XXème
siècle ces références internes n'existaient
pas. Elles existaient bel et bien. Cependant, elles rencontraient
des référentiels extérieurs qui, soit les
endossaient, soit leur faisaient opposition.
Aujourd'hui, on se trouve presque dans
l'obligation de créer intérieurement des références
d'identité sans pouvoir compter sur les référentiels
extérieurs, devenus fragiles, instables et de moins en
moins consistants.
La société de consommation
nous propose une profusion d'images comme modèles des
idéaux du moi (11), des images dépourvues de toute
consistance : il suffit de s'acheter telle voiture ou de s'habiller
d'une telle façon pour accéder au royaume du bonheur.
Par contre, le bonheur qui consiste dans l'espoir, dans le pari
fait sur l'idéal du moi se réduit à une
poignée d'images statiques dépourvues de toute
valeur sociale. Au début du siècle, les modèles
avaient des référentiels porteurs de valeurs telles
que des principes moraux, la solidarité, l'idéal
d'être quelqu'un de bien, etc. Dans les images d'alors
il y avait des repères éthiques, ainsi que des
valeurs sous entendues, annoncées ou rigoureusement décrites.
Il ne s'agit pas ici de valoriser le
modèle de références extérieures.
Dans la plupart du temps, celles-ci étaient le fruit d'une
manipulation idéologique, dont les objectifs n'avaient
rien de louable. Ce que je voudrais faire ressortir c'est le
fait qu'elles permettaient l'accouplement de la sublimation dans
la formation des idéaux, ce que ne semble pas évident
dans la société de consommation actuelle. Dans
celle-ci, les objets sont proposés comme des ornements
fondamentaux pour la construction de l'image idéale. Il
ne s'agit plus du modèle de comment le sujet désire
être dans le futur, mais celui qui dit ce que le sujet
doit posséder pour être une image. La composition
de l'idéal du moi cesse d'être une image qui contient
une subjectivité, des valeurs, pour devenir un simple
icône.
Récemment, on a pu assister à
la télévision de Rio un programme autour du trafic
de drogues où il est demandé à un enfant
pourquoi il travaillait dans ce milieu. Il a répondu :
pour gagner de l'argent. On lui a lors demandé ce qu'il
voulait faire de cet argent, à quoi il a répondu
: avec cet argent, je m'achète des basquettes NIKE et
des survêtements ADIDAS et je deviens quelqu'un. Être quelqu'un
est donc une image qu'a besoin de compléments tels que
des basquettes et une griffe. C'est une pure image. Il n'est
nullement en question ni les principes ni les questions existentielles
du sujet qui possède ces objets, ni non plus ce que l'on
peut penser de lui.. Comme si l'image avec ces emblèmes
parlait d'elle-même. Avoir ces objets c'est être
quelque chose qui n'a pas besoin d'attributs.
Ce qui m'intéresse ici c'est la
société post moderne. Dans cette notion j'incorpore
non seulement les changements entraînés par le féminisme
et la contraception, mais également l'émergence
de la société de consommation, le phénomène
de la globalisation et de l'hégémonie du néolibéralisme.
Nous sommes dans une société qui ne produit ni
des dirigeants ni des mouvements politiques capables de mobiliser
la population, en particulier les jeunes. Pour la constitution
de l'idéal du moi elle n'offre que la possibilité
d'idéalisations dépourvues de toute nécessité
de sublimation.
Nous pouvons alors penser que les idéalisations
ont des processus distincts comme il arrive aux identifications.
Celles que Freud a pensé à partir des hystériques,
étaient des identifications par traits. L'objet était
interprété et le sujet y prélevait un trait
pour identification. C'est à travers ce modèle
que l'on peut penser le moi comme un précipité
d'identifications. Ce processus suppose, à son tour, une
possibilité fantasmatique : je ne peux m'identifier au
modèle par traits que si je peux me mettre à la
place de l'autre et trouver de cette manière que je peux
avoir accès à sa subjectivité au point de
l'interpréter. Cette forme fantasmatique vise décoder
la personnalité de l'autre, mais accepte l'erreur, le
doute et, surtout, accepte que quelque chose peut échapper
à cette appropriation.
Si nous prenons le modèle mélancolique
par contre, l'identification se fait par appropriation de l'objet
comme un tout, d'une image totale, par mimétisme. L'objet
devient un occupant, comme dans la célèbre phrase
de Freud : " l'ombre de l'objet est tombée sur le
moi ". Le moi cesse d'être un précipité
d'identifications, enrichi d'introjections comme dans la proposition
ferenczienne, pour devenir une copie de l'objet. Nous sommes
devant un modèle fantasmatique totalement divers du modèle
hystérique et bien plus proche du troisième mouvement
de la fantaisie de "Un enfant est battu".
Les idéalisations qui constituent
l'idéal du moi peuvent parfaitement avoir leurs origines
dans un modèle identificatoire tant hystérique
que mélancolique. Le résultat, cependant, de ce
dernier c'est le vide, la dépression, pour laquelle l'industrie
pharmaceutique a rapidement proposé un autre objet : les
Prozacs et d'autres qui viennent au secours du sujet avec de
fortes promesses de soulagement et de bonheur.
Teresa PINHEIRO,
juillet
2000
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