psychanalyse In situ


A propos de la question des neurosciences en psychiatrie et en psychanalyse

Que peut apporter la Neurobiologie de l'Inconscient élaborée par Henri LABORIT à la compréhension des facteurs transgénérationnels inducteurs des psychoses de l'enfant?



Jean Pierre Muyard*

 

La psychiatrie et la psychanalyse confrontées aux " découvertes " des neurosciences sont obligées de réexaminer leur statut épistémologique afin d'affirmer leur "spécificité scientifique " et de ne pas se laisser absorber par le scientisme dominant qui postule que la " science médicale " est fondée sur l'analyse objective du fonctionnement " interne " des mécanismes organiques, biologiques … et plus récemment génétiques. L'acmé paradoxale de cette démarche se manifeste dans le dernier ouvrage de J.P. CHANGEUX " L'Homme de Vérité " qui escompte, avec la complicité de Gérard Edelman, établir que la Conscience Humaine est la résultante terminale de l'évolution et de l'intrication complexe et multifactorielle des réseaux neuronaux du Système Nerveux Central.

Face à cette prise de pouvoir d'une majorité de chercheurs en Neurosciences qui se reconnaissent dans les propos du Pr. François Bégon exprimés au congrès " BIOLOGIE ET CONSCIENCE " (Paris 25-27 avril 2002) : " Les neurosciences sont le socle de la psychologie, de la neurologie et de la psychiatrie "…il est urgent d'affirmer que s'il y a " socle " d'une recherche sur la " pensée humaine " et de ses dérives dans la folie il ne peut être qu'épistémologique et non neurobiologique…toute tentative de synthèse des différentes disciplines qui travaillent à la connaissance du fonctionnement du cerveau et de l'esprit est vouée à l'échec… comme en témoigne une courageuse initiative du MIR qui a donné un ouvrage passionnant mais …sans issue :" Somatisation : psychanalyse et sciences du vivant " (1).
Dans la conclusion à sa contribution au débat, John Stewart (2) propose de déterminer un fil conducteur qui relie les différentes disciplines plutôt que de les confronter dans leurs différences ou de les valider par leurs résultats " opérationnels ".
Il définit ainsi les " structures théoriques communes à la psychologie et à la biologie " à savoir :
- l'existence des niveaux d'organisation biologique et du phénomène d'émergence
- la temporalité et le processus de genèse ( phylogénèse et ontogénèse ) processus de fécondation, de développement, de mort relié à une généalogie
- la problématique de l'hominisation par l'apparition dans l'évolution de la Nature du langage et de la conscience.
Ces questions ont été introduites dès les années 50 (3 -4) par H. Laborit qui a élaboré une méthode de lecture des systèmes vivants permettant de sortir du dualisme opposant l'organique et le psychologique . Or, ce " Pic de la Mirandole des temps modernes " selon la formule de Cyril Koupernic a dû se battre toute sa vie, après la découverte du premier neuroleptique le Largactil, contre les forteresses académiques organisées sur la défense des disciplines afin de faire reconnaître une méthode de recherche neurobiologique fondée sur la cybernétique (qui a donné aujourd'hui la " pensée systémique " et les sciences cognitives) et sur une " Nouvelle Grille " de travail " trans et inter-disciplinaire " (5). C'est ainsi que dès les années 70, il met en évidence la possibilité de " créer " expérimentalement en laboratoire des infarctus du myocarde, un diabète ou des troubles du système immunitaire… en mettant les animaux dans des situations de stress. Il a donc les bases de cette fameuse " nouvelle discipline " " la psycho-neuro-immunologie " dont on attend beaucoup pour définir les bases scientifiques de la psychosomatique !…(G.Gadachin.6). C'est pourquoi, un hommage reconnaissant à Henri Laborit doit être rendu à l'occasion de ce congrès car il a été le pionnier des Neurosciences mais d'une neuroscience qui ne prétend pas être le critère hégémonique de " vérité " scientifique. Grâce à cette " nouvelle grille " qui rétablit la place du Sujet, de sa famille, de sa " niche environnementale ", du fonctionnement de son cerveau , de ses organes, de ses cellules et de son ADN, nous pouvons à sa suite établir les bases scientifiques du caractère inextricable des rapports synchroniques et diachroniques de la psychogénèse et de l'organogénèse des comportements et de la pensée humaine …ce qui nous guidera dans la mise en place de stratégies thérapeutiques véritablement individualisées .

 

1-Indissociabilité du couple Corps-Esprit et niveaux d'organisation des systèmes vivants
conséquence : on doit soigner un malade et non une maladie.

Les neurosciences s'occupent de la maladie….
La majorité des " neuroscientifiques " postulent que la connaissance des mécanismes génétiques et du fonctionnement des réseaux neuronaux les conduiront à trouver la cause des maladies mentales et de ce fait à découvrir le traitement de celles-ci. Air connu car déjà , dans les années 60 où on nous prédisait la résolution du " problème " de la schizophrénie par la découverte récente des neurotransmetteurs …Des progrès ont été faits certes qui nous donnent de nouvelles molécules agissant sur des symptômes parasites mais qui laissent entière l'énigme de la " genèse " de la psychose et du mystère du " vécu " du patient schizophrène. Ne pourrions-nous pas transposer cette réflexion à un autre fléau épidémiologique : la tuberculose. Cette maladie, qui revient de manière endémique et catastrophique, était considérée comme éradiquée grâce à la découverte des antibiotiques spécifiques citée comme un succès spectaculaire de la pharmacologie moderne…parce qu'on a pris un facteur déclenchant pour " la " cause. En effet le B.K. n'est pas " la " cause de la tuberculose : celle-ci ,comme la très bien démontré René DUBOS (7), est la conséquence de multiples facteurs conjugués : le développement industriel du XIX° siècle, les carences alimentaires en protéines, la pollution atmosphérique, le manque d'hygiène… et aujourd'hui la pauvreté des pays du tiers-monde et le SIDA...
Cette prise en compte des facteurs " externes " et environnementaux est d'autant plus importante en psychiatrie que la pathologie mentale s'exprime à travers des troubles émotionnels ou pulsionnels donc dans une désorganisation des relations avec les autres et le milieu.

La psychiatrie et la psychanalyse s'occupent du malade.
S'occuper du " malade " ne signifie pas que le psychiatre restera dans la subjectivité et négligera les facteurs objectifs qui peuvent déterminer les troubles psychopathologiques. H.LABORIT (8) nous propose pour sortir de cette opposition stérile Sujet-Objet de partir de la place effective de l'Homme qui est d'être au centre du cercle de son horizon, c'est à dire à mi-chemin entre le Soleil et l'ADN. Nous sommes Sujet pensant mais aussi un organisme vivant, c'est-à-dire un " système ouvert " ( schéma n° 1)
- sur le plan thermodynamique (l'énergie solaire se transmet par la synthèse chlorophyllienne des végétaux aux phosphorylations oxydatives du cytoplasme de chaque cellule…)
- sur le plan informationnel (l'information n'est ni masse ni énergie même si elle a besoin de ces supports : " l'information n'est qu'information " N .WIENER(9)
Cette ouverture informationnelle du Sujet-Objet est la conséquence de la structuration de tout être vivant par niveaux d'organisation qui assure une autonomie de l'ensemble au sein du milieu. Le " Sujet " (organisme et esprit indissociable) est à la croisée des interactions des informations venant soit du gène soit de la cellule soit des organes … soit de la famille, soit du milieu socio-culturel, soit du contexte géo-climatique ou cosmique ( cycles saisonniers du soleil ou de la lune…)
La conséquence pragmatique de cette réalité ontologique est que chaque sujet malade ou non occupe une place spécifique dans le temps, dans l'espace et se trouve positionné comme récepteur d'énergie et carrefour informationnel. (Schéma n°2).Il est donc indispensable pour définir une stratégie thérapeutique de faire une évaluation de l'état de chaque niveau d'organisation sans privilégier soit l'aspect biologique ou l'aspect psychologique. Ainsi, nous considérerons une perturbation métabolique ou génétique comme la trace du dérèglement du système d'autorégulation global du " couple individu-environnement " et non comme la cause de la maladie. De même, les perturbations relationnelles ou comportementales seront évaluées comme effet et non comme cause des troubles psychologiques. Cette mise à plat des multiples facteurs pouvant déterminer une psychose chez un enfant permet de déculpabiliser les parents, de les entraîner dans une recherche des origines possibles, de les confronter à l'énigme de cette maladie (aussi bien pour eux que pour le psychiatre) et de rechercher ensemble le " sens " de ce " non-sens ".
C'est pourquoi il faut rétablir la dimension temporelle du processus de genèse de la psychose. Et là encore la neurobiologie nous apportera à travers les travaux récents sur la mémoire les moyens d'appréhender autrement la notion d'inconscient en psychanalyse.
…Que l'être humain soit un considéré comme un Etre de Parole ou comme un Etre neuronal…la mémoire imprime synergétiquement la trace corporelle- biologique et les images-émotions singulières pour chacun .

2-Mémoire, inconscient et histoire individuelle

Les niveaux d'organisation biologique permettent de comprendre comment le Sujet occupe l'espace, et comment son comportement conscient/inconscient est l'expression de l' " émergence " (F.VARELLA -10 ) à son niveau (global) d'une " information-structure " spécifique à l'espèce humaine mais aussi à chaque individu qui ne peut exister sans les mécanismes endogènes et exogènes avec lesquels il n'entretient aucun lien bi-univoque mais dont la connaissance lui permet de comprendre ses déterminismes… donc d'être plus " libre ".
Mais le déterminisme temporel peut être aussi examiner " biologiquement " à travers les processus de mémorisation qui relient la mémoire de l'espèce à la mémoire cellulaire. Là encore H.LABORIT (11) nous apporte des données expérimentales et interprétatives qui nous permettra de faire le pont entre la phylogénèse et l'ontogénèse afin de mieux comprendre les " ratées " dans l'histoire des enfants psychotiques.
C'est la mise en évidence par Mc LEAN (12) de l'existence de " trois cerveaux " qui a permis à Laborit de jeter les bases d'une sémiologie des troubles psychiques fondée sur des données étiophysiologiques cohérentes.(schéma n°2)
En effet la distinction :
-cerveau des pulsions (hypothalamus, tronc cérébral )
-cerveau des émotions (système limbique)
-cerveau du mental ( néo-cortex )
nous permettrait de mettre en œuvre une nouvelle conception des " pulsions " et de sortir le dialogue entre psychanalystes, cognitivistes et neurobiologistes de l'impasse actuelle, mais c'est une autre affaire.
Retenons simplement que le cerveau des pulsions régule les comportements primitifs instinctifs liés à la survie : la faim et la soif, la copulation, la défense du territoire que l'être humain partage avec toutes les espèces animales et que le petit enfant expérimente de sa naissance à 3 ans. C'est dire que cette période est cruciale pour le devenir de l'enfant qui pour survivre, contrairement aux petits animaux beaucoup plus vite autonomes, va dépendre entièrement de son environnement affectif , familial et socio-culturel.
La satisfaction ou non de ces besoins élémentaires va s'inscrire d'après Laborit dans la mémoire à court terme. Serait à reprendre ici les différentes conceptions sur les pulsions de Freud (13), Spitz (14), Lacan (15), Pierra Aulagnier (16) etc…qui pourraient être reprises et éclairées à travers les nouvelles données neuro-physiologiques.
Le cerveau des émotions (le système limbique, réceptacle des mémorisations) qui apparaît avec les mammifères enregistrera toutes les expériences affectives du Sujet selon qu'elles sont agréables ou désagréables (système de récompense ou système de punition), qu'elles déterminent la lutte ou la fuite ainsi que les rapports dominants -dominés. C'est ainsi que se met en place, d'après Laborit, la mémoire à long terme qui engrammera les souvenirs d'expériences gratifiantes ou douloureuses. Cette mémoire résulte non seulement des mécanismes d'activation et d'inhibition des circuits réticulo-thalamiques mais aussi de mécanismes biochimiques, en particulier une synthèse de protéines.
Ainsi nous pouvons affirmer que chaque traumatisme psycho-émotionnel laisse une trace mémorisée (donc inscrite dans le " corps " par un codage spécifique de protéines. Cette trace peut être inhibée ou activée et réactivée en fonction de l'efficacité des mécanismes d'auto-régulation mis en œuvre par le Sujet pour maintenir son équilibre. C'est le principe d'" émergence " décrit par F.VARELLA (17) et, appliqué à la mémoire, il nous permet de comprendre comment des mécanismes " locaux " (physiologiques, cellulaires, synaptiques, moléculaires…) fonctionnant en réseau ont une résultante unique et globale exprimée chez l'Homme par la prise de conscience du fait. F. Varella (18) rapporte une expérience d'apprentissage de discrimination olfactive chez des lapins qui illustre parfaitement la singularité de cette " émergence ". L'interprétation que l'on peut tirer de ces expériences c'est que l'organisation globale d'un état de mémoire est historique et modifiable ".
On peut comprendre ainsi que des traumatismes anciens ou enfouis dans la mémoire donc inscrits dans une corporéité puissent se manifester comme " émergence " d'une in-formation (" formé de l'intérieur ") qui oblige à mettre en route, ( par la médiation d'une interprétation, d'une recherche de sens ou d'une action, ) le système d'autorégulation déficient . C'est pourquoi nous sommes conduits dans l'investigation de l'histoire des enfants malades à prendre en considération l'histoire affective de la petite enfance mais aussi celle des parents voire des grands parents sous les deux formes, celle du roman familial (effet de Parole transmis par voie orale ) et celle des marques traumatiques des évènements douloureux qui peuvent être présents dans le vécu quotidien conscient ou inconscient de la mère qui attend un enfant et qui à cette occasion peut revivre des états émotionnels en relation avec sa propre gestation ou avec les grossesses de ses aïeules.

Le cerveau de la mentalisation (le neocortex)
Le néocortex prend chez l'homme un développement considérable dans les régions orbito-frontale, confère à l'espèce humaine une capacité de créer des structures nouvelles (l'imaginaire, le langage parlé, la volonté... et a permis l' " émergence " dans l'évolution de la Nature, d'un SUJET CONSCIENT d'ETRE c'est à dire conscient de naître et de mourir. Les recherches anthropologiques confirment que l'émergence de " l'humanité " au néolithique est concomitante avec l'apparition des rites funéraires. Cette conscience de la mort et ses conséquences sur les expériences individuelles de confrontation avec la mort sera la toile de fond du travail autour de la psychose de l'enfant.

 

3 Le " déjà là ", la quête des origines et la " bulle " psychotique

L'arrivée au monde d'un enfant réactualise les mythes des origines…origine du monde, origine de la vie, origine de l'être humain… Mais le déjà-là est considérable : mémoire de l'espèce, mémoire biologique des comportements d'adaptation au milieu, mémoire ethno-culturelle , mémoire familiale projetée sur le nouveau-né…Toutes ses mémoires sont inscrites dans le cerveau qui n'est qu'un outil (même s'il est très sophistiqué) de gestion des informations mais aussi dans la totalité du corps…chaque cellule ayant une mémoire holographique des évènements signifiants et des mécanismes d'autorégulation.

Derrière cette remarque triviale se cache une question épistémologique essentielle.
Comment rendre opérationnelle en pratique médicale l'intrication ontologique de la psychogénèse et de l'organogénèse et la co-naturalité du Sujet-Objet… malade.
L'enfant n'ayant pas de parole " propre " ni d'autonomie, il est indispensable d'effectuer une évaluation la plus exhaustive possible du contexte de " débarquement " de cet enfant sur un point précis de la planète " terre " afin de saisir ce déjà-là qui occupe la place de ce nouvel Etre. C'est pourquoi la participation des parents à cette enquète-inventaire est indispensable afin que ceux-ci soient confrontés à la complexité de cette " émergence " et conscients de l'intrication de multiples facteurs…À partir du moment où est évacuée l'illusion d' " une " cause, la place est ouverte à une " quête " des origines…Le destin de tout être humain commence par le " désir " conscient ou inconscient d'enfant de la part d'un couple ou d'une femme ou d'un homme. La qualité de cette énergie désirante est un des éléments importants à considérer…car l'enfant ultérieurement rappellera toujours à ses géniteurs le souvenir de cet événement. Notons que le philosophe allemand Peter SLOTERDIJK(19) dans son dernier ouvrage " BULLES " évoque la nécessité pour la psychanalyse de reprendre ces concepts à partir de la genèse de l'Etre humain dès sa conception et non seulement à partir de son histoire d'enfance
Cet enfant est inscrit dans une généalogie au sein de laquelle il peut être un objet de projection d'une histoire qui ne lui appartient pas. Cette histoire transgénérationnelle n'aura pas seulement d'effets " imaginaires " à travers les récits retransmis par le " roman familial " mais aussi des effets corporels. En effet, la vie intra-utérine établit un rapport physique intime entre l'embryon et la mère… puisque le sang maternel, par le placenta, apporte non seulement la nourriture physique mais aussi une " nourriture …émotionnelle ". Il n'est pas suffisant de dire que l'état émotionnel de la mère a des conséquences sur le développement du fœtus…Il ne s'agit pas d'un simple effet " psychique " (donc pour beaucoup " immatériel ")… Les travaux récents de neuro-endocrinologie ont mis en évidence que toute " décharge " émotionnelle déclenche des neurosécrétions de certains peptides spécifiques de chaque émotion, que ce soit la colère , la peur , la tristesse…et la joie ! (R.GUILLEMIN 20).
Notons aussi que ces neuro-peptides sécrétés par la mère gestante et transmis au foetus et laisseront une trace " informative " sur la totalité des cellules embryonnaires et non pas seulement sur le SNC.Cette réalité bio-physiologique devrait conduire à une vision totalement renouvelée de la psychosomatique… puisque l'inscription " corporelle " des dysharmonies émotionnelles commence dès la vie intra-utérine. Ce que la médecine chinoise traditionnelle avait déjà noté…
Nous comprenons mieux maintenant que l'inventaire des traumatismes ancestraux qui restent en mémoire dans une famille n'est pas seulement une recherche évènementielle mais aussi une tentative pour conscientiser et effacer (par " interprétation "ou catharsis) les traces des évènements souffrants qui pourraient se réactualiser au cours d'une grossesse… afin que la place du nouvel enfant soit dégagé des projections de situations vécus par les aïeux .
C'est dire l'intérêt de reprendre à travers ces données " bio-psychologiques " les travaux de N .ABRAHAM (21) M. TOROK (22) DOLTO (23) repris par C. NACHIN (24) D.DUMAS (25) M.BYDLOWSKI (26) et médiatisés par A.ANCELIN (27) ce qui permettrait peut-être de comprendre que la trace " mémorisée " d'un enfant mort à la 2° ou 34° génération dont le deuil n'a pas été fait ou la trace d'un trauma (perte, rejet , rupture, abandon, accident, guerre, faillite, famine etc…) s'inscrit non seulement dans une histoire mais aussi dans un substrat biologique… qui peut déterminer la genèse d'un enfant psychotique ou autiste.
Les interactions biologiques et psychologiques se poursuivent bien évidemment au cours de la première enfance. L'environnement sensoriel et psycho-émotionnel s'inscrit par des informations " vibratoires " : les perceptions tactiles, olfactives, gustatives, visuelles auditives laissent des traces mémorisées captées simultanément avec les sensations affectives de plaisir ou de déplaisir… et l'ambiance de sécurité ou d'insécurité à laquelle l'enfant est particulièrement sensible…Tout cela va conditionner l'accès au Désir et à la Parole et les éventuelles situations de replis, de rupture de contact mécanisme d'auto-défense mettant en oeuvre des réflexes de survie…Marie-Christine LASNIK (28) apporte des données cliniques décisives montrant que, dans la détection des signes précoces de l'autisme, des situations de panique induisant un blocage de la communication peuvent être liées à des perturbations apparemment peu dramatiques de l'environnement du bébé. Quand l'événement inducteur a été repéré le retour à un comportement normal peut être très rapide.

L'intérêt de cet inventaire de l'histoire des évènements réels vécus dans l'enfance mais aussi sur plusieurs générations est de permettre une stratégie thérapeutique fondée sur la réappropriation de l'histoire individuelle des parents et par voie de conséquence de l'enfant psychotique qui n'est plus considéré comme une " erreur de la Nature , un " non-sens " ou un étranger. La " crypte " laissée en héritage inscrite dans un circuit mémorisé (ce qui signifie qu'une chaîne protéique est reliée au traumatisme émotionnel ) continuera d'émettre des signes d'angoisse ou de souffrance psychique tant que la blessure ne sera pas cicatrisée…La cicatrisation implique de faire émerger à la conscience un lien entre cet évènement réel et le vécu quotidien du Sujet. Ainsi pourrait disparaître la trace " matérielle " des origines de la blessure. L'action de l' " interprétation " sera à la fois biologique (disparition du circuit mémorisé auto-entretenu) et psychique (disparition du symptôme) Restera le " souvenir " de l'incident …et encore !

Conclusion

L'énigme que constituent la psychose et l'autisme de l'enfant nous a conduit à rechercher des articulations épistémologiques entre les différentes disciplines qui, grâce au dialogue potentiellement établi entre elles dans cet exposé, permettraient de mieux comprendre le processus de genèse de ces troubles.
Comment ne pas voir à travers les symptômes de " toute puissance ", qui place l'autiste dans une position de " centre du monde " imposant à son entourage sa loi …mortifère (syndrome de fin du monde) un reflet de l'ombre d'une société occidentale qui impose son pouvoir dominateur au nom d'un combat entre les forces du bien et du mal et d'une Technoscience qui considère que l'Homme doit dominer une Nature qu'il connaît à peine et peut se l'approprier quitte à en modifier le code (clonage). C'est pourquoi, notre position thérapeutique doit bien se garder de tout effet de pouvoir et rester un accompagnement éclairé d'un destin singulier.

 

*Jean Pierre Muyard, Psychiatre-Psychanalyste
Intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile A.S.M. 11300 Limoux France
Email : jeanpimuyard@hotmail.com

(Texte d'un communication faite au congrès de l'Information Psychiatrique, Québec, Octobre 2002)

 

BIBLIOGRAPHIE

(1) CHANGEUX (J.P.) L'Homme de Vérité, Odile Jacob Paris 2002
(2) STEWART (J) : Somatisation :psychanalyse et sciences du vivant, Eshel, Paris, I994, pp 223-243
(3) LABORIT (H) : Réaction organique à l'agression et choc , Masson, Paris, I952
(4) LABORIT (H) : La nouvelle Grille, R.Laffont, Paris, I974
(5) LABORIT (H) : Les comportements, Masson , Paris, I973
(6) GADACHIN (G) : Somatisation : psychanalyse et sciences du vivant, Eshel, Paris 1994,pp149-166
(7) DUBOS.(R). : Man, Medecine and Environment, PraegerPublishers, New York 1968
(8) LABORIT (H) : Du soleil à l'Homme, Masson, Paris, 1963
(9) WIENER (N) : la Cybernétique, Masson, Paris I949
(10) VARELLA (F) : L'inscription corporelle de l'esprit, Seuil, Paris 1993
(11) LABORIT (H) : Inhibition de l'action, Masson, Paris I981
(12) McLEAN (P.D.): Psychosomatic disease and the visceral brain in Psych. Med II 338-353
(13) FREUD (S) : Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 1920
(14) SPITZ (R.A.) : De la naissance à la parole, PUF, Paris 1968
(15)LACAN (J) : Le moi dans la Théorie de Freud, Seuil, Paris 1978
(16)AULAGNIER (P) la violence de l'interpretation, PUF Paris
(17),(18) VARELLA (F) : Somatisation … op. cit. pp 301-315
(19) SLOTERDIJK (P) : Bulles , Pauvert, Paris 2002
(20) GUILLEMIN- (R) : Biochemical and Physiological Correlates of Hypothalamus Raven Press N.Y.1978
(21), (22) ABRAHAM(N) et TOROK (M) : L'écorce et le noyau, Flammarion, Paris I987
(23 DOLTO (F) : Séminaire de psychanalyse d'enfants, Seuil, Paris 1983
(24) NACHIN (C) Les Fantômes de l'Ame, L'Harmattan, Paris 1993
(25) DUMAS (D) : L'ange et le Fantôme, Minuit, Paris 1985
(26) BYDLOWSKY : La dette de vie, PUF, Paris 1997
(27) ANCELIN (A) : Aïe mes aïeux, DDB, Paris 1998
(28 LASNIK (M.C.) Pour une théorie lacanienne des pulsions. Du ratage de la mise en place de l'image du corps … in La clinique de l'autisme Point Hors Ligne 1993

 


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