psychanalyse In situ
La psychanalyse
à l'épreuve de la réalité de l'inceste
Prévenir les victimes d'inceste de certains aveuglements
thérapeutiques
La psychanalyse et les avancées
thérapeutiques qu'elle a suscité durant le siècle
dernier ont joué un rôle majeur dans la mise en
lumière des traumatismes infantiles fondamentaux que sont
l'inceste et les abus sexuels. Pour autant, l'histoire qui noue
la découverte sociale de l'inceste et la construction
de la psychanalyse est tout à fait paradoxale. Elle est
faîte de découvertes inédites et de réflexions
fécondes, de faux-pas, de véritables tromperies,
de révélations courageuses et de redécouverte
tardives. Pour comprendre ces paradoxes, il est nécessaire
de remonter au fil de cette histoire.
Il y a plus d'un siècle, en 1886,
le docteur neurologue Sigmund Freud pris connaissance à
la morgue de Paris, auprès du professeur Brouardel, des
terribles abus fréquemment constatés sur les enfants
que l'on pouvait y observer. Le jeune Freud fut fortement marqué
par cette expérience et dix ans plus tard, en 1896, il
parvint au paroxysme d'une démarche qui lui avait fait
prendre conscience d'une terrible réalité, à
la fois scientifique et personnelle. Au cours des années
écoulées, il en était venu à penser
que la quasi-totalité des patientes et des patients qu'il
soignait ou observait alors avait été en fait été
abusés ou maltraités sexuellement durant leur enfance
et que leurs troubles étaient dus essentiellement à
ces traumatismes. Leurs souvenirs et témoignages se recoupaient
avec une régularité ahurissante qui ébranla
profondément le jeune docteur et théoricien. Il
en fit mention dans ses notes, et exprima son étonnement
et ses interrogations notamment dans sa correspondance, en partie
occultée par les archives freudiennes et récemment
mise à jour par J.M Masson (voir J.M. Masson - Le réel
escamoté). Un peu moins d'un an plus tard, en 1897, Freud
ne croit plus à sa neurotica, c'est-à-dire à
l'hypothèse du traumatisme originaire, et élabore,
en peu de temps, le complexe d'Oedipe qui remplacera désormais
avantageusement la " théorie de la séduction
" élaborée à force d'observations durant
les années précédentes. Freud sera assez
peu généreux en explication en ce qui concerne
les raisons qui présidèrent à un tel bouleversement.
Pourquoi ?
Un extrait d'une lettre de Freud envoyée
à Fliess, le 21 Septembre 1897, fait comprendre le motif
apparent de ce revirement : " la surprise de constater que
dans chacun des cas, il fallait accuser le père de perversion,
le mien non exclu ... alors qu'une telle généralisation
des actes commis envers les enfants semblait peu croyable. "
La seule raison évoquée ici explicitement par Freud
pour ignorer dorénavant ses propres conclusions sur la
psychogenèse des troubles psychiques, est que cette hypothèse
semble "peu croyable " au vu du nombre très
important d'abus qu'il lui aurait alors fallu d'abord constater,
puis déduire en général. On peut comprendre
une telle surprise et le besoin de précaution scientifique,
mais cette seule réticence a suffi alors à invalider
une hypothèse pourtant issue de multiples observations
et recoupements.
Évidemment, on n'aura pas manqué de noter avec
stupeur que Freud inclut son propre père parmi ceux qu'il
tient lui-même au nombre des "pervers ". En effet,
le motif affectif et profond de ce retournement soudain consiste
vraisemblablement en ce que les observations originales de Freud
menaient celui-ci à accuser son propre père, décédé
récemment en Octobre 1896, ainsi qu'en témoigne
également cet autre extrait d'une lettre adressée
à son grand ami, le docteur Wilhelm Fliess : "Malheureusement
mon propre père était un de ces pervers, il est
cause de l'hystérie de mon frère (dont les états
sont dans l'ensemble des processus d'identification) et de certaines
de mes surs cadettes. La fréquence de ce type de
rapport me donne souvent à réfléchir ".
Pendant la nuit qui suivit l'enterrement de son père,
Freud fit un rêve de culpabilité à ce propos,
et y vit une pancarte : "On est prié de fermer les
yeux ". On est prié de fermer les yeux sur quoi ?
se demande-t-on ... sur les fautes du père décédé,
peut-on supposer. Un autre élément également
très important est sans doute que l'influent ami intime
avec qui Freud a correspondu pendant des années, Wilhelm
Fliess que la plupart de ses biographes s'accordent à
désigner comme le sujet d'une affection transferielle
de la part de Freud, fut lui-même un père incestueux,
comme le révélera plus tard le témoignage
de Robert Fliess, son fils.
En définitive, le complexe d'Oedipe
que formula Freud en 1897 évacuait presque totalement
la responsabilité et la culpabilité des adultes
dans la genèse des troubles psychiques, par exemple dans
l'hystérie féminine pour laquelle Freud avait pourtant
affirmé : "le fondement de l'accès hystérique
est un souvenir, la revivification d'une scène ayant joué
un rôle important dans la maladie. " (note de 1892).
Mais le complexe dipien est en contradiction plus que superficielle
avec ces conclusions et fit à nouveau de l'hystérie
une malédiction sans causes externes au sujet.
Il est ici sans doute utile de rappeler
que le mythe original d'Oedipe, dans son intégralité,
ne se résume pas à la seule culpabilité
du fils condamné à un destin tragique qui le mènerait
sans raison à l'inceste maternel et au parricide, comme
le voudrait la version freudienne. La tragédie dipienne
débute en réalité par un crime perpétré
par Laïos, le père d'Oedipe et roi de Thèbes,
qui séduit, enlève et tue le jeune Chrysippe. La
malédiction qui s'abat sur lui et sa descendance est la
conséquence et punition de ce crime dont Oedipe n'est
que le bouc émissaire. Cette genèse ignorée
par la psychanalyse et par Freud, pourtant érudit et passionné
en la matière, est l'image parfaite du refoulement profond
des causes réelles de la souffrance des patients et patientes
du célèbre docteur. Tout ce qui précède
est autrement plus brillamment démontré par l'ouvrage
de la psychanalyste Marie Balmary (in L'Homme aux Statues ou
La Faute Cachée du Père) qui s'est attachée
à étudier les origines de la psychanalyse.
Ce refoulement est malheureusement toujours
d'actualité dans les pratiques et les théories
de la psychanalyse qui restent fidèles à la théorie
des fantasmes.
Pourtant, dés l'origine du mouvement
psychanalytique, quelques thérapeutes et théoriciens
ont pris au sérieux la parole des patients qui leurs livraient
émotions et souvenirs intimes : il s'agit de thérapeutes
comme Sandor Ferenczi ou Wilhelm Stekel, disciples puis dissidents
de Freud. Pour Sandor Ferenczi, l'héritier spirituel un
moment pressenti du père de la psychanalyse, son différend
avec Freud et sa mise à l'écart par celui-ci résida
clairement dans le fait que Ferenczi ne se décidait plus
à remettre en question la réalité des traumatismes
rapportés par ses différents patients. Certains
textes et discours, dont notamment La confusion de langue entre
les adultes et les enfants qui décrivait déjà
à l'époque assez précisément la dynamique
psychologique de l'abus sexuel et incestueux, le tinrent définitivement
à l'écart du courant analytique officiel. Ferenczi
déclarait notamment que : " le complexe d'Oedipe
pourrait bien être le résultat d'actes réels
commis par des adultes, c'est-à-dire de passions violentes
à l'égard de l'enfant, qui alors développe
une fixation, non par désir, mais par peur. " ou
encore "L'objection, à savoir qu'il s'agissait de
fantasmes de l'enfant lui-même, c'est-à-dire de
mensonges hystériques, perd de la force, par suite du
nombre considérable de patients en analyse qui avouent
eux-mêmes des voies de fait sur des enfants. ". Et
bien que Ferenczi demeura longtemps discret dans cette remise
en cause, cette position ne manquait pas de heurter les thèses
freudiennes. Wilhelm Stekel, marginal au sein du mouvement psychanalytique,
voyait lui la cause des troubles sexuels et psychiques de ses
patients dans la position psychologique d'esclavage familial
vécu infantilement par beaucoup d'entre eux et dans leur
haine refoulée vis-à-vis de leurs parents (Wilhelm
Stekel - L'Homme Impuissant ; La Femme Frigide). Mais la plupart
de ces considérations furent très vite marginalisées
et oubliées par le mouvement psychanalytique, alors en
plein essor. Les analystes désirant être intégrés
au mouvement en confirmaient les thèses majeures, y compris
au sein de leur propre analyse didactique, en y dévoilant
le complexe d'dipe.
Le lieu de la théorie et de la
pratique psychanalytique se tint désormais dans la mise
à jour de la sexualité refoulée et de l'inconscient
avec pour trame fondamentale l'Oedipe, c'est-à-dire le
fantasme sexuel spontanément développé par
l'enfant et projeté sur le parent de sexe opposé.
Cette façon de voir a conduit la psychanalyse classique
à attribuer systématiquement aux enfants des envies
et des besoins sexuels démesurés, d'ordre obsessionnel,
presque exclusivement de nature égoïste et hostile,
orientés de façon altruiste uniquement sous la
contrainte extérieure et éducative. La cause des
troubles psychiques se trouvait placée dans le complexe
d'dipe, complexe qui pouvait demeurer non-résolu
pour des raisons mystérieuses. Par la suite, de nombreux
thérapeutes et théoriciens de la psychanalyse ont
développé des thèses plaçant les
désirs pervers de l'enfant au cur de la maladie
psychique et de la problématique de l'inceste. Freud avait
en son temps déjà qualifié l'enfant de "
pervers polymorphe ", identifiant des désirs sexuels
violents et sauvages dans beaucoup de leurs gestes et attitudes
normales. Par la suite, Mélanie Klein développa
de la même manière la théorie dite du "
nourrisson cruel ", avide de la dévoration sadique
du sein maternel, et parvint même à situer le complexe
d'dipe dans les tout premiers mois de la vie de l'enfant.
Un thérapeute reconnu comme Edward Glover a pu dire :
"Par rapport aux critères sociaux de l'adulte, le
petit enfant normal est tout simplement le criminel né
" (E.Glover - 1970 - cité dans La Connaissance Interdite
de Alice Miller). Ainsi, tout un tas d'attitudes infantiles ont
pu être interprétées par la suite non pas
pour ce qu'elles manifestaient (tristesse, joie, colère,
peur, anxiété, excitation, etc...) mais pour des
"caprices " intrinsèquement hostiles ou bien
des manuvres stratégiques dipiennes destinées
à satisfaire des envies et des rivalités sexuelles
inévitables. On ne peut évidemment pas affirmer
que de tels phénomènes n'existent pas, mais ils
sont sans doutes beaucoup moins inconditionnels que ce qu'a prétendu
la théorie analytique, c'est à dire qu'ils sont
éminemment dépendants du contexte affectif qui
nourrit l'enfant. Cette interprétation oedipienne a toujours
été faîte au bénéfice de la
thèse de l'innocence de l'adulte dans sa relation à
l'enfant.
Par la suite, cette façon de considérer
les choses a amené la psychanalyse et beaucoup de psychanalystes
à complètement ignorer, voire à masquer
les abus réels subis par les enfants. Les abus et attitudes
abusives ont même été amplement justifiés
par plusieurs analystes et non-analystes, sous couvert de pratiques
et théories d'avant-garde, comme au cours des années
soixante-dix et comme le fit par exemple la célèbre
psychanalyste Françoise Dolto interrogée par Choisir:
" Choisir - Mais enfin, il y a bien des cas de viol ?
F.Dolto - Il n'y a pas de viol du tout. Elles sont consentantes.
Choisir - Quand une fille vient vous voir et qu'elle vous raconte
que, dans son enfance, son père a coïté avec
elle et qu'elle a ressenti cela comme un viol, que lui répondez-vous
?
F.Dolto - Elle ne l'a pas ressenti comme un viol. Elle a simplement
compris que son père l'aimait et qu'il se consolait avec
elle, parce que sa femme ne voulait pas faire l'amour avec lui.
"
Et plus loin:
" Choisir - D'après vous, il n'y a pas de père
vicieux et pervers ?
F.Dolto - Il suffit que la fille refuse de coucher avec lui,
en disant que cela ne se fait pas, pour qu'il la laisse tranquille.
Choisir - Il peut insister ?
F.Dolto - Pas du tout, parce qu'il sait que l'enfant sait que
c'est défendu. Et puis le père incestueux a tout
de même peur que sa fille en parle. En général
la fille ne dit rien, enfin pas tout de suite. " (Entretien
cité dans Le Viol du Silence de Eva Thomas)
Évidemment, quand on connaît
l'impact considérable qu'a pu avoir un auteur comme Françoise
Dolto sur beaucoup d'éducateurs ou de parents, on frémit
d'avance en imaginant les conséquences engendrées
par de tels propos. Cet impact est d'autant plus grand pour les
patients ayant dû renoncer à leurs souvenirs et
émotions d'enfants sous la pression d'un thérapeute
réticent à entendre la vérité. Il
faut ici également bien se rendre compte comment les défenses
psychiques développées par une victime d'inceste
peuvent être en partie manipulées au cours d'une
cure répondant aux dogmes de l'analyse classique. De fait,
la plupart des souvenirs de scènes traumatiques ne se
manifestent aux victimes que sous la forme de symptômes
physiques, de troubles sexuels, d'angoisses cryptées,
de fantasmes, de rêves ou de régressions sans rapport
avec un traumatisme consciemment remémoré par le
sujet. Il est donc aisé pour un thérapeute de dire
à son patient que ces images et émotions sont des
fantasmes dipiens, irréels et sans support historique
dans la vie de celui-ci, dans la mesure où ces souvenirs
censurés sont effectivement vécus, défensivement,
comme étant irréels par le psychisme du patient.
La plupart des victimes trouvent là un renforcement intense
à leurs propres refoulements, ce qui n'apaise généralement
pas longtemps, malheureusement, les angoisses infantiles profondes
qui les assaillent. Le but définitif d'une analyse a longtemps
été, et est encore fréquemment, d'affranchir
les parents et les adultes de toute responsabilité vis-à-vis
de l'enfant, de toute culpabilité quant au mal qu'on lui
a fait ou bien de leur pardonner immédiatement pour ensuite
en charger l'analysé lui-même, en situant la cause
ultime du mal vécu dans un inexplicable "complexe
d'Oedipe mal résorbé ". Il ne s'agit pas pour
ici de faire croire que l'enfant est un être affranchi
de désirs ou de sensations d'ordre sexuel, mais que sa
sexualité est en de nombreux points tout à fait
distincte de celle de l'adulte et surtout qu'il n'est pas prêt
à supporter l'intensité d'un désir ou d'une
excitation sexuelle mature ; prenons-en pour preuve les dégats
collossaux infligés aux victimes et les séquelles
psychiques qui les affligent. En cas d'abus, l'enfant introjecte
ces désirs adultes et en fait les siens, faute de pouvoir
s'y soustraire. " De faux souvenirs masquant de vrais fantasmes
ou de vrais souvenirs éclatant en fantasmes ? " est
finalement la question à laquelle la psychanalyse se doit
maintenant de répondre réellement.
La pratique psychanalytique, aujourd'hui,
a déjà quelque peu évolué, heureusement.
Elle a su prendre en compte certains faits indépassables
et quelques thérapeutes ont dénoncé publiquement
les abus thérapeutiques qui redoublaient les abus sexuels
vécus par les patients. Il y a désormais d'assez
nombreux thérapeutes, psychanalystes ou non, qui reconnaissent
la réalité des traumatismes infantiles dans les
troubles psychiques et y accordent véritablement toute
leur attention. Parmi les spécialistes connus qui se sont
exprimés très clairement à ce sujet, on
peut noter des noms comme ceux d'Alice Miller ou plus récemment
de Susan Forward. On sait désormais que les enfants peuvent
se rendre malades non seulement par le refoulement de désirs
ou de haines cachées, mais aussi simplement par amour,
pour protéger leurs bourreaux qui se trouvent bien souvent
être leurs propres parents et leur proche entourage.
Ces discours restent néanmoins
confidentiels et peu connus d'un public qui est par ailleurs
assez souvent familiarisé à la thèse classique
de l'Oedipe.Une proportion encore majoritaire des psychanalystes
reste fidèle aux dogmes de la théorie freudienne
et ne laisse pas un patient évoquer ses souvenirs sans
émettre un doute sur la réalité de ceux-ci
ou sans les accueillir de façon négative (ce que
les patients font d'ailleurs très bien pour eux-même),
d'autant plus que même des thérapeutes déclarant
par principe être attentifs à l'étiologie
traumatique peuvent y être sourds de fait ou assez dissuasifs
pour ne pas y être confrontés. On peut également
constater que la grande majorité de la littérature
psychanalytique spécialisée reste souvent muette
ou cryptique vis-à-vis à l'inceste considéré
autrement que comme un fantasme infantile. La tradition psychanalytique
reste également souvent emprunte d'une approche intellectualiste
manifestant un goût prononcé pour les grammaires
hermétiques et les néologismes cryptés qui
sont un gage d'emprise savante vis-à-vis des non-analystes
et des analysés eux-mêmes, et ce qui empêche
souvent les thérapeutes de prendre en compte des observations
parfois très simples et vérifiables concernant
leurs patients. Cette tradition concourt inévitablement
à la non-reconnaissance du vécu émotionnel
des victimes d'inceste.
Certains diront que cet aveuglement est maintenant révolu, qu'il est circonscrit à la méthode
analytique, qu'il n'existe plus dans les nouvelles méthodes
thérapeutiques enseignées ou que les thérapeutes
sont dorénavant à l'abri de tels phénomènes.
Cet aveuglement, la négation ou la mise en doute des traumatismes
subis sont malheureusement toujours d'actualité, quotidiennement
pratiqués en thérapie ou bien enseignés
aux étudiants en faculté de psychologie. Beaucoup
d'autres types de thérapies, classiques, réformées
et actuelles détournent activement le regard des traumas
réels pour ne s'intéresser qu'à des fictions
psychologiques ou à des traitements symptomatiques "
superficiels ". Toutefois, cette façon de masquer
les faits et la réalité du sort fait à l'enfance
n'est pas non plus une invention de la psychanalyse ou de la
psychologie : c'est un modus vivendi de l'autorité sociale
et familiale humaine, et certaines valeurs en sont encore largement
partagées, comme l'amour inconditionnel aux parents, ou
le renoncement à soi, et d'autres encore comme la minimisation
des ses propres souffrances (actuelles et infantiles), la justification
de la violence à l'égard de l'enfant (claques,
fessées et diverses humiliations) ou la projection des
désirs de l'adulte dans l'enfant (le mythe de l'enfant
naturellement précoce, violent ou pervers) . Il faut tout
de même insister sur ce fait essentiel que la révélation
de l'inceste entraîne nécessairement l'accusation
du père, de la mère ou de la famille, et des valeurs
éducatives partagées par l'immense majorité
de la population. Rien ne semble socialement plus dangereux que
cette mise en accusation et ce bouleversement de l'ordre établi
de l'adulte sur l'enfant, du plus fort sur le plus faible...
Il suffit d'observer les énormes difficultés et
résistances rencontrées en matière de lutte
contre la maltraitance pour s'en convaincre. Le père ou
la mère introjecté en chacun de nous, nous intiment
de garder silence et nous rappellent que l' " on est prié
de fermer les yeux " ! Nous savons aujourd'hui que seule
une fraction infinitésimale de ces abus est réellement
signalée. Cela tient au fait qu'un enfant est toujours
incapable de se défendre et n'est presque jamais libre
de parler mais aussi que, dans les rares cas où il tente
de s'exprimer, il faut l'entendre réellement et de ne
pas se réfugier derrière des "théories
boucliers ". Mais c'est encore trop peu souvent le cas.
Quant aux victimes devenues adultes, leur sort dépend
souvent d'une oreille attentive, d'une émotion partagée
et ainsi libérée qu'elles ne trouvent fréquemment
que tardivement, de longues années après les faits.
La psychanalyse grâce à
son orientation à l'écoute du sujet est potentiellement
l'une des thérapies les plus efficaces à l'aide
de ses patients en général et dans la mise à
jour de leurs traumas infantiles en particulier. Elle est surtout
une aide précieuse et vivement utile à tous ceux
qui sont pris aux pièges de leurs propres défenses
psychiques et de leurs blessures biographiques. Si on la compare
à l'approche rationalisante, et pas nécessairement
rationnelle, de la psychiatrie clinique et institutionnelle qui
neutralise chimiquement ses malades au lieu de les comprendre
ou de certaines psychothérapies qui leur enseigne des
techniques d'autocontrôle au lieu des les écouter,
l'analyse demeure une solution entière, peut-être
la seule capable d'être vécue activement et en profondeur
par le sujet. Mais on doit pouvoir reconnaître frontalement
ses propres erreurs et son aveuglement ancien ou actuel pour
ne pas sacrifier la vérité à ses propres
théories. C'est sans doute seulement ainsi que la psychanalyse
pourra, avec le concours de nouvelles découvertes, donner
le meilleur d'elle même et partager avec cur toutes
ses avancées techniques pour le bien de tous.
En définitive, il faut que la
psychanalyse se mette à l'épreuve de la réalité
de l'inceste pour pouvoir devenir pleinement utile à ses
victimes. Il faut que les victimes d'abus trouvent l'écoute
qui leur est nécessaire et ne se laissent pas entravées
par des pratiques ou des propos aliénants, qu'elles sachent
que leur parole est plus importante que les arguments abstraits
qu'on leur oppose.
Il y a plus de cent ans, l'une des patientes
hystériques du collègue et ami de Freud, le docteur
Breuer, a un jour a inventé d'elle-même le procédé
associatif et cathartique de la psychanalyse : en racontant ses
souffrances et associations spontanées à son médecin,
elle constata avec surprise que cela provoquait la disparition
progressive de ses symptômes. Le message essentiel qui
en demeure est qu'une parole écoutée et partagée
appelle la guérison !
Vincent Caux
Quelques-uns des livres pillés
(!) pour cet article:
Balmary, Marie - "L'Homme aux statues ou la faute
cachée du père"
1979 - Aubier
Bigras, Julien - "L'enfant dans le grenier"
- 1977 - Hachette
Freud, Sigmund - "Introduction à la psychanalyse"
- Payot
Ferenczi, Sandor - "Psychanalyse IV"
- 1982 - Payot
Ferenczi, Sandor - "Journal clinique"
- Payot
Forward Susan - "Parents toxiques, comment échapper
à leur emprise" - 1989 - Stock
Gruyer F., Fadier-Nice M., Sabourin P. - "La violence
impensable" - 1991 - Nathan
Mainguy, Colette - "La Juive" - 2001
- Stock
Miller, Alice - "La connaissance Interdite"
- 1990 - Aubier
Miller, Alice - "C'est pour ton Bien"
- 1984 - Aubier
Miller, Alice - "La souffrance muette de l'enfant"
- Aubier
Thomas, Eva - "Le viol du silence" -
1986 - Aubier.
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vincent_ko@hotmail.com)