Lettre ouverte à un psychanalyte sourd,
aveugle, et trop bavard...

Catherine Podguszer


Je n'ai cessé de parler et de « répéter » pendant mes quinze ans d'analyse avec vous l'horreur de ma douleur sans écho de votre part, jusqu'à réaliser, ce que je considère comme votre passage à l'acte : la faillite de l'entreprise que je dirigeais.
Je me suis retrouvée, après ces longues années, totalement démunie, plus le droit de vivre, condamnée, exclue.

Entendez enfin que votre pratique est de l'ordre du meurtre psychique et que votre surdité a favorisé et soutenu une formidable mise en scène de ce qui était resté dans le silence en moi et chez les miens: les persécutions, la guerre, l'interdit de tout droit, jusqu'à se retrouver nus dans les chambres à gaz, exterminés, brûlés et auto-détruits par des «Sonderkommandos», 1 juifs eux-mêmes.

Le silence pesant qui m'envahissait répétitivement au cours de nombreuses séances, ne faisait que me revenir comme un boomerang destructeur faute de pouvoir être interprété par vous dans le transfert. Au lieu de cela, vous m'abreuviez de vos nombreux textes et me conviez régulièrement à venir à votre École dont vous êtes l'unique fondateur et le seul enseignant. Là j'y entendais vos énigmatiques trouvailles/certitudes sur la jouissance en tant que véritable objet de la psychanalyse, sur la prédestination de l'état d'analyste, comme si vous étiez en mesure de calculer le réel d'avance. Sur la passe aussi, qui signerait la fin de l'analyse dans la traversée de l'horreur du dés-être...

A mon insu je suis venue confirmer vos théories terroristes en redoublant l'horreur de ce dés-être par celle du dés-avoir.

Continuez vos recherches si bon vous semble mais n'expérimentez plus vos trouvailles sur vos patients, car la vie vaut la peine d'être vécue, comme vous aviez l'audace de le faire aussi miroiter dans vos cours.

Au bout de toutes ces années passées sur votre divan, je me retrouvai complètement en marge de la société, criblée de dettes, poursuivie par les huissiers et pour clôturer le tout : je vous devais de l'argent.

J'ai pu ne pas en rester là et être accueillie par une psychanalyste. Elle a su ne pas être complice de mon histoire, du non-dit familial de ce qui étais tu, tué par plusieurs générations m'ayant précédées. J'ai aussi interrogé la question de mon insolvabilité après ces années d'analyse comme étant peut-être la seule issue possible, tragique certes, pour échapper enfin à votre joug mortifère. Cela met en cause aussi votre incapacité à mettre en place une possibilité de mieux-vivre auquel tout analysant est en droit de s'attendre et d'obtenir, ainsi qu'un espace pour enfin advenir et se reconstruire.

Je peux me prévaloir aujourd'hui avec l'aide de certains qui m'ont entendu d'être deux fois survivante parce que je n'ai pas oublié. Elie Wiesel disait au procès Barbie : [...] "l'oubli serait le triomphe définitif de l'ennemi. L'ennemi tue deux fois, la deuxième fois en essayant d'effacer les traces de son crime".

Je considère aujourd'hui vous avoir payé plus que mon dû et pas seulement en monnaies trébuchantes, ce qui m'est arrivé par vos bons soins.

Catherine Podguszer
paris , avril 1996

Paru dans la revue Bastillard
Groupe Bastille

 

 

1 Sonderkommandos : Ces équipes spéciales, sélectionnées par les nazis parmi les déportés juifs, étaient chargées de remplir puis de vider les cadavres des chambres à gaz.

 

 

 

 
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