psychanalyse In situ
Poussière de
plafond
Dominique Gaucher
Pendant plusieurs années, je parlais
en regardant mon plafond. Oui, je louais un plafond chez un psychanalyste
deux fois par semaine. Qu'est-ce qu'il était fissuré
ce plafond, autant que moi. Cinq ans que j'associais, que je
cassais, résistais et reconstruisais parfois. Et puis
un jour impossible de retourner sous le plafond
Je ne comprenais
plus rien, pourquoi j'arrêtais
Le propriétaire
du plafond m'a téléphoné pour me dire qu'il
était surpris de cet arrêt brusque. C'était
forcément moi qui déconnais, mon psychanalyste,
lui, il était psy, alors
Et puis je n'allais pas
mieux, enfin vraiment mal et coupable en plus. Pourquoi j'avais
arrêté ? À l'époque je n'avais pas
les clés pour répondre à cette question.
Cela n'allait pas tarder
Un mois plus tard, mon meilleur ami,
devenu psychanalyste depuis, me dit :
- Regarde ce livre, c'est ton psychanalyste qui l'a écrit.
Je crois que c'est ton histoire qui est là.
- Quoi ? Toute mon histoire ?
- Oui, 10 pages avec tout, tes parents, tes amis, même
ton chien. Pour ceux qui te connaissent, même si les noms
sont changés, c'est assez facile de te reconnaître
Le plafond s'est effondré ! Assommé, je me suis
mis à lire mon histoire volée. Comme un affamé
à qui l'on donne du pain, j'avais faim de moi à
en vomir. Mon psychanalyste ne m'avait rien dit, rien demandé.
Ma parole était devenue la sienne, il m'avait trahi !
Je commençais à comprendre.
Derrière le divan, il n'y avait plus personne pour m'entendre.
Le psychanalyste avait quitté sa place, il construisait
son oeuvre. Son désir d'écrire avait congédié
mon désir d'analysant. J'appris ce jour-là que
l'analyse se produisait ailleurs, d'inconscient à inconscient,
et que ça fonctionnait dans les deux sens. Mais il y avait
autre chose. Face à une histoire lourde où rôdait
en permanence une mort annoncée, mon histoire, le psychanalyste
est sorti de sa neutralité bienveillante pour tomber dans
la compassion, posture dangereuse, ver dans la pomme, qui tue
assurément !
Cinq ans après avoir rencontré
la psychanalyse (mon désir était à l'époque
de vivre et non celui de devenir un jour psychanalyste), j'étais
toujours un usager, un usager mal en point. Je ne m'intéressais
pas aux transferts, aux contre-transferts ou à toutes
ces données théoriques, ce n'était pas mon
propos. Engagé dans un chemin dont je ne comprenais plus
le sens, j'ai frappé chez un autre psychanalyste. Mon
histoire singulière se redoublait de mon histoire d'analysant
et générait des contre-transferts redoutables,
dont je n'étais pas conscient. Cette seconde psychanalyste,
j'avais peut-être changé de genre pour changer de
genre de cure, m'a jeté après trois séances.
Je suis reparti de cette dernière séance, congédié
par un : "vous reviendrez me voir quand votre inconscient
voudra bien changer". Avec ce diagnostic, résultat
de son incapacité traduit en "toute puissance",
elle m'a de fait propulsé au ban de l'humanité.
Avant cela, je croyais avoir touché le fond. Je découvris
qu'il existait d'autres fonds, plus sombres, plus dangereux encore.
Des gouffres abyssins dans lesquels ces soi-disant professionnels
du système psychique m'ont poussé, étaient
le seuil d'un autre monde, celui de la folie. Merci maman, même
si je peux te reprocher beaucoup de chose : en me donnant une
sécurité primaire, tu m'as sauvé.
Mais à l'époque, je ne
savais rien de tout cela, et c'est à mon entourage que
je dois, par leur amour, d'être là pour écrire
cette histoire. Apres cette expulsion de la cure, une amie psychanalyste
m'a immédiatement récupéré. Non en
tant que psychanalyste, mais en tant qu'amie avertie. Elle me
permit de faire une pose, laissant le tourbillon de la violence
s'éloigner de moi. Transgressant le cadre rituel de la
psychanalyse, elle osa m'accueillir pour quelques séances
dans son cabinet. Elle savait que notre amitié ne survivrait
sûrement pas au déferlement transférentiel
qui allait se produire. Choix cornélien, elle sacrifia
notre amitié afin que je puisse remonter sur le chemin
de la vie. Elle m'a redonné ma place de sujet. Je lui
dois tant
En analysant si malmené mais de
nouveau sujet, j'ai commencé à m'intéresser
à la littérature psychanalytique, aux textes de
Freud principalement. En cherchant dans ces écrits un
sens à mon histoire, j'habillais petit à petit
mon désir de vie avec les habits de la psychanalyse. Je
n'avais pas encore accès à ce désir d'être
un jour moi-même psychanalyste, mais sur les ruines de
mon existence, je commençais à reconstruire et
j'avais trouvé mon architecte.
J'allais de nouveau frapper à
une nouvelle porte, troisième psychanalyste, et c'était
reparti mais pour
6 mois seulement. Je n'ai pas eu le temps
de rencontrer son plafond, j'ai congédié ma psychanalyste
avant. Me suis-je vengé ?? Évidemment oui, mais
pas uniquement
Ces quelques mois ont été
d'une importance cruciale dans mon cheminement. Je lui dois le
premier retour sur mon histoire de maltraitance en tant qu'analysant.
Malgré cela, je me suis retrouvé asphyxié
par un cadre tellement rigide qu'il en devenait létal.
Il me fallait de l'air. Ethnologue en formation, je me devais
d'aller sur "mon terrain" de temps en temps. Bien que
je prenais les précautions nécessaires pour aménager
mes absences, une semaine en 6 mois, je me retrouvais toujours
en faute. Je devais encore payer. Désolé, madame,
j'avais déjà tellement payé, ça suffisait
! J'ai renvoyé ma psychanalyste en lui conseillant de
relire son Winnicott. Une fois dans la rue, je ne ressentis ni
fierté, ni angoisse, juste un frisson de vie, la fin d'un
délire.
Depuis, la faucheuse s'est assoupie,
miracle de la science peut-être. Cela fait 6 ans que j'ai
retrouvé un plafond à louer, un beau plafond. Un
plafond qui a vécu, joliment bosselé, mais solide
et si peu fissuré. Un plafond qui a entendu, entre autres
choses, mon désir d'être psychanalyste. Et moi aussi,
j'ai entendu. J'ai entendu la réponse d'un professionnel
qui a discrètement mais fermement soutenu ce désir.
Ne croyez pas que les psychanalystes
maltraitants dont je parle ici sont des inconnus, hors de toute
institution. Oh que non ! Ils sont tous reconnus par leurs pairs
et appartiennent à des écoles elles-mêmes
reconnues. Psychiatres ou psychologues de formation, ils n'en
sont pas moins, monsieur Accoyer, des charlatans.
Maintenant, je suis devenu "jeune
psychanalyste". Très jeune à l'échelle
de ma clinique privée, mais bien psychanalyste pour l'équipe
soignante avec laquelle je collabore depuis un an et demi à
l'hôpital. Je travaille dans un milieu hostile à
la psychanalyse, celle que je revendique, celle de Freud, Winnicott,
Aubry etc. Les patients sont des individus, des familles en grande
difficulté, maltraités. Dans ce cadre, moi à
qui on a volé la voix, moi dont l'inconscient n'était
soi-disant pas comme celui du reste de l'humanité, je
redonne la parole à ceux qui ne l'ont plus. Je leur offre
une part d'humanité à laquelle nous avons tous
droit. Dans ce milieu hostile, je dois valider toutes mes attitudes,
mes postures, mes prises de position. Situation singulière,
qui demande de ma part une vigilance de tous les instants envers
ma pratique.
Je ne sais pas s'il est possible d'apprendre
à être psychanalyste. 13 ans après ma rencontre
avec la psychanalyse, je sais que mon histoire, tant comme individu
que comme analysant, m'a tant bien que mal construit, jusqu'au
moment où j'ai pu commencer à influer sur celle-ci,
à recoller les morceaux à ma guise. Si la maturité
peut faire, parfois, un psychanalyste, c'est uniquement l'enfant
qui est en lui, s'il survit aux charlatans, qui le fera entendre.
Dominique Gaucher
Décembre 2003